vendredi 30 mars 2012

LE PROJET EAU: Emportée par la houle


Photo: Radio-Canada


Une lame est une vague qui s'étend en nappe à la surface de l'océan.

Sail on Silver Girl,
Sail on by
Your time has come to shine
All your dreams are on their way


Bridge over troubled water
Simon & Garfunkel


Photo: L.Langlois

DRAP EAU:  les deux premiers mots qui me sont sortis de la bouche après un peu moins de quatre heures de cet éminent spectacle qu'est LE PROJET EAU. Un drap de houle sur la mer des sentiments tumultueux; une touche de bleus marins pour calmer les tempêtes de la jeunesse; une longueur d'ondes d'avance. Tout baignait dans l'huile pour célébrer les dix ans d'existence des NUAGES EN PANTALON...
***

De l’eau jusqu’aux genoux
De l’eau jusqu’au cou
De l’eau douce
De l’eau salée
De l'eau/mots ravalée
de l'à vau-l'eau envolé
De l'eau qui coule dessous les ponts
De l’eau qui coule des bas plafonds
De l'eau de mer qui mange les quais
De l'eau douce qui respire et vit sur le plancher

Comme un détonateur
Comme dans les mots moteurs
L'eau qui a fait feu dans nos coeurs
L'eau qui a fait fondre nos froideurs




La mer qui recueille l'Homme face à lui-même, qui le retourne dans les vagues salées de son enfance, qui le détourne dans ses silences, qui lui fait faire une halte dans son adolescence, qui le poursuit jusque dans les résurgences de sa vie d’adulte. LE PROJET EAU: un accès aqueux aux souvenirs spongieux des sirènes…

« C'est la mer et son rythme innombrable, puis, parmi les vagues argentées de lune, s'entend, rit et passe le chant mystérieux des Sirènes. »
Claude Debussy




Illustration: L.L.


LE PROJET EAU, présenté au Théâtre Périscope samedi soir dernier, m’est entré dedans comme une lame de fond, déchirant quelques anciens lambeaux d'amitié échoués sur les rives du Vide, énergisant une partie des petits neurones miroirs de mon imaginaire. Un spectacle déployé pour et par tous les sens, avec la simplicité audacieuse de son intelligence, en harmonie avec le corps et l'esprit. Des images fluides, de la lumière lucide. Un tout en un...Une belle histoire...d'eau...


“Lame de fond”  : J.C.  : C’est le fantasme du mec qui coule. J’ai toujours vécu au bord de l’eau, et c’est une histoire sur cette angoisse…










Asperger. Baptiser. Arroser. Surfer. Couler. Noyer. RESPIRER. Apprendre à vivre sous l'eau des mots. Bouffer la lumière des abysses. Rendre les larmes à la mère. Un drap sur la peau de ses eaux. Le souffle à venir...



Ce sont les mots exposés au Seuil des Froidures au retour de ma tournée du théâtre de la rue Crémazie. Ils sont ni plus ni moins la synthèse de ce qui suit et précède aux Envapements.







Quoi qu'il en soit, voici une carte postale qu'écrivit Debussy à son éditeur, alors qu'il séjournait près de Dieppe, au Grand Hôtel Château de Puys, le 8 août 1906:

Mon cher ami,

Me revoici avec ma vieille amie la Mer; elle est toujours innombrable et belle. C'est vraiment la chose de nature qui vous remet le mieux en place. Seulement on ne respecte pas assez la Mer... Il ne devrait pas être permis d'y tremper des corps déformés par la vie quotidienne; mais vraiment tous ces bras, ces jambes qui s'agitent dans des rythmes ridicules, c'est à faire pleurer les poissons. Dans la Mer, il ne devrait y avoir que des Sirènes; et comment voulez-vous que ces estimables personnes consentent à revenir dans des eaux si mal fréquentées?

Donnez-moi bientôt de vos bonnes nouvelles et croyez à ma vieille amitié.

L'amitié, comme celle qui ré-unit les quatre protagonistes du deuxième segment de la trilogie, vieillira, on l'espère, tant et aussi longtemps que la mer s'agitera; la mer avec avec tous ses flots et ses mâts. L'amitié, comme celle des confrères et consoeurs présents dans la salle: Frédérick Bouffard (à ma gauche), Fabien Cloutier (en arrière), Martin  Genest, Klervi Thienpont, Roland Lepage, et sûrement d'autres que je n'aurai pas reconnus, mais également Claudie et une amie dont je ne me souviens plus du prénom, deux grandes amateures de théâtre avec lesquelles ce fût un grand plaisir de parler de...théâtre ! L'amitié, comme celle qui se produit à chaque fois qu'on met de la lumière dans son fanal...


LE CHANT DE LA MER (enfant)
Maman les p’tits bateaux
Lucienne Vernay et les Quatre Barbus




L’IVRESSE DES PROFONDEURS (ado)
Bridge over troubles water
Simon and Garfunkel


RÉMINISCENCE (adulte)
La Seine
10 petits indiens



« La mer est salée parce qu'il y a des morues dedans. Et si elle ne déborde pas, c'est parce que la providence, dans sa sagesse, y a placé aussi des éponges. »

Alphonse Allais
Jeux d’eaux, fontaines, piscines; pour s'abreuver d'espoir, pour monter ou descendre, pour plonger dans le creux ou rester sur le bord. Pour offrir une alternative aux spectateurs. De l’enfance à l’âge adulte, il n’y a guère que quelques cheveux gris et blancs puis perdus qui nous en séparent…La mer ce soir, celle des NUAGES EN PANTALON, a été créée pour nous faire voguer sur et sous ses flots tumultueux, là où il ne manquait pas de bouées de sauvetage. Le vert et le bleu de ses vagues pris entre les filets du grand jaune. Accompagnant le rouge sang de ses branchies, le sel blanc sur sa peau. Dans toute l’immensité de ses grains de sable, ce fût, avec la musique intemporelle de Mathieu Campagna, la simple valeur ajoutée au paysage des corps affranchis de Jean-Philippe Joubert, Olivier Normand, Laurie-Ève Gagnon, Danièle Belley, Valérie Laroche et Sonia MontminyÀ la claire fontaine, m'en allant promener, j'ai trouvé l'eau si belle que je m'y suis baigné...




Et pour faire comme une suite logique au spectacle auquel je venais d'assister, un hasard comme seul il m'en arrive après avoir été submergée de circonstances plus ou moins chaoteuses: en feuilletant la revue BAZZART, un photo reportage de Charles-F. Ouellet, SUR LA ROUTE DE L'EAU. Les mots de la page 25, avec la photo assez troublante qui les accompagnaient ont fait reminiscence, LE PROJET EAU tracera lui aussi SA route...


« Dépourvu d’équipement sanitaire et d’approvisionnement en eau potable, l’arrondissement de Dharavi, qui compte plus de 800 000 habitants, est sujet à une grave crise de l'eau. »




mardi 27 mars 2012

JOURNÉE MONDIALE DU THÉÂTRE:

L'ASILE DE LA PURETÉ
Illustration: L.L.



Merci à tous ceux et celles qui le construisent jour après jour depuis des millénaires; qui le font rayonner à travers leurs mots autant que par leurs gestes; qui le font se propager à l'intérieur de nos petites têtes froissées; qui lui inventent des richesses et des misères; qui le sortent mort-vivant des territoires encore vierges; qui l'émancipent en l'épurant, qui l'agrandissent en le dépoussiérant; qui lui redonnent ses couleurs d'hiver ou de printemps; qui le régénèrent en pleine noirceur; qui en mangent, en bavent, en saignent, pour en faire de la lumière; qui le réactivent d'eau, d'air, de feu et de terre; qui le font gueux, qui le font roi, grand prêtre ou petit frère. Merci à vous qui le défendez avec passion, amour et intégrité.

Louise Langlois

vendredi 23 mars 2012

MADAME DE SADE: Spanish flies story


Photo: LE SOLEIL


« Le monde est plein de gens qui méprisent ce qu'ils ne peuvent imaginer. »

Renée, marquise de Sade






La cantharide officinale est un coléoptère de 12 à 21 mm de longueur, au corps allongé, et d'une couleur vert brillant. On l'appelle aussi mouche cantharide ou mouche espagnole ou encore mouche de Milan, bien que ce ne soit absolument pas une mouche d'un point de vue scientifique (diptère). Le marquis de Sade utilisait à l'occasion des bonbons d'anis enrobés de poudre de cantharide qu'il offrait à ses partenaires. Il fut embastillé pour empoisonnement pour avoir offert des bonbons à la cantharide à quatre femmes lors d'une soirée, les effets n'étant pas ceux espérés.
(wikipedia)






1772, nous sommes à l’aube de la Révolution Française. La présence de six femmes pour un homme absent. Une scène vêtue de ses plus somptueux atours. Du noir et du rouge. Des comédiennes cousues sur mesure pour incarner les sentiments doux-amers qui animèrent les longues nuits comme les jours écourtés de leur Donatien Alphonse François, marquis de Sade.

Martine Beaulne résume sa mise en scène de la façon suivante : « Personnage controversé, le Marquis de Sade, est l'incarnation de “l'anarchiste absolu” [...]. Au plan politique, il propose plein de choses intéressantes et fait peur à l'ordre établi. [...] Madame de Sade vient nous raconter une partie de la vie de son mari emprisonné depuis plusieurs années. Fidélité, politique, perversité, hypocrisie et amour se confrontent dans ce grand cérémonial brillamment écrit par Yukio Mishima. [...] Cette œuvre nous questionne aussi sur le sens de la liberté, sur l’affranchissement d’un peuple et la situation des femmes. Elle met en lumière tout l’univers secret de nos fantasmes sexuels [...] tout en projetant subtilement le déchirement de l’auteur envers l’ouverture du Japon au monde occidental et son profond attachement [...] au Japon traditionnel. »
15 mars 2012



SADE N’EST PAS FOU 
MAIS REND FOU

C'est sans doute à cause de Yukio Mishima que son MADAME DE SADE m'a ramenée tout droit au CINQ JOURS EN MARS * de Toshiki Okada, jeune auteur/metteur en scène venu lui aussi du Japon. La pièce, jouée entièrement en japonais, avec sous-titres français, m'avait beaucoup plue. (Pas comme le reste de l'assistance). C'était en juin dernier, dans le cadre du Carrefour International de Théâtre.  
La jeunesse débridée, désenchantée, branchée, qui se terre et se love dans le quartier de Shibuya. L'éternelle jeunesse, en partie semblable à celle qui s'est vécue au Château Lacoste. Des histoires qui n’ont jamais vraiment cessé de se répéter à travers les siècles des siècles. Le Japon, pays du soleil levant, avec ses robots et ses love hotels, à des années lumières de nous. La France, pré-révolutionnaire, au coeur du Japon pré-suicidaire de Mishima. Entre une nuit de longs couteaux bien affûtés à travers la chair de l’écrivain et une averse de sang pour la vallée de la mort et ses lents sévices: Sade revisité par ses femmes via le plus illustre des écrivains japonais.
MADAME DE SADE ... une fugue salée dans le repli de la cuisse Justine/Renée, un coup de crème fouettée de la comtesse de Saint-Fond, une rasade d’écailles de rose cendré au cœur du châtiment. Du noir, du blanc, du rouge, du sang. De l’écho coupant dans la prison des peaux hachées. Le rythme lent de l’enfermement. Le début de la Révolution. Le brûlement des gorges chaudes. Une mouche de moutarde sur la bouche de la liberté. Une mouche espagnole invitée dans les draps de la sainteté. De la douleur instantanée. De la fièvre jaune. Du délire dans la vérité. Du dérangement dans la communauté...
La plupart des spectateurs du Trident sont demeurés bien assis sur leurs sièges éjectables, ils n'étaient vraisemblablement pas préparés à recevoir la fessée de mots que Mishima avait fait éclore en 1965. Des mots quelque peu crus et juteux, qui ont fait ressurgir le fantôme du gardien des clefs, le marquis qui, ma foi, n'a encore pris aucune ride...
Il est parfois dommage que les " abonnés " du Trident ne soient pas au rendez-vous avec des productions qui voudraient les faire entrer dans des forêts encore vierges. Dommage pour les artistes qui ont travaillé d'arrache-coeur et qui n'ont pas reçu les applaudissements qu'ils méritaient. Je leur dis à tous et toutes bravo pour leur audace. Et surtout merci à vous mesdames les comédiennes, vous étiez tout simplement superbes dans vos répliques...ainsi que dans vos splendides costumes. Ce fût un plaisir d'être là, en votre si précieuse compagnie.

 DONATIEN, C'EST VOUS !

 Il faut de la colère !

Il faut de la grandeur !

Il faut de l’efficience !

Mais la soif la plus belle

Est celle de poésie.


Domitien d’Olmansay
in
LE ROSE ENFER DES ANIMAUX
de Claude Gauvreau







LES TROIS QUARTS DE L'UNIVERS PEUVENT TROUVER DÉLICIEUSE L'ODEUR D'UNE ROSE, SANS QUE CELA PUISSE SERVIR DE PREUVE, NI POUR CONDAMNER LE QUART QUI POURRAIT LA TROUVER MAUVAISE, NI POUR DÉMONTRER QUE CETTE ODEUR SOIT VÉRITABLEMENT AGRÉABLE.
Marquis de Sade
Justine ou les malheurs de la vertu

Yukio Mishima




Une visite au CHÂTEAU LACOSTE






Le portrait imaginaire
 Man Ray (1938)

Sade meurt en 1814. Quelques années auparavant, il avait demandé dans son testament à être enterré dans un bois de sa terre de la Malmaison, près d'Épernon :
« ...La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que par la suite le terrain de ladite fosse se trouvant regarni, et le taillis se retrouvant fourré comme il l'était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s'effacera de l'esprit des hommes. »

Marquis de Sade

Sa terre de la Malmaison étant vendue, il est enterré dans le cimetière de la maison de Charenton. La fosse est recouverte d’une pierre sur laquelle aucun nom n'est gravé.

* Extrait CINQ JOURS EN MARS









« DONATIEN, C’EST MOI ! »



samedi 10 mars 2012

JOCASTE REINE: Mère avant tout


Photo: Nicola-Frank Vachon





Plus d’une semaine s’est maintenant écoulée depuis le suicide de Jocaste. Que retenir, à part les larmes, de cette superbe mise en scène de Lorraine Pintal ? La scénographie de Jean Hazel, habitée des âmes errantes de cette histoire de famille dysfonctionnelle ? Le rire des enfants ? Les batailles aquatiques de Polynice et Étocle ? Les accrochages sororaux entre Ismène et Antigone ? L’amour indivisible d’un couple qui sort de l’ordinaire?


Une mère de quatre (cinq) enfants, un père, son époux. Une famille constituée. Jocaste et Oedipe, un couple re-dé-formé par le temps. Joué, déjoué et rejoué. Les majestueux interprètes que sont Louise Marleau et Jean-Sébastien Ouellette les ont tout simplement faits venir avec la plus sensible des virtuosités. Une performance théâtrale orchestrée par des mains de maîtres. Il fallait voir cette scène de lit inaugurale, une comme on n’en voit rarement. Le drap d’or emmurant l’amour conjugal de Jocaste et d'Oedipe, duo définitivement amoureux à la vie à la mort. Le drap de satin abritant les courbettes et courbatures des ébats de leur couple infini.


…et le Coryphée…Ah!  Toujours aussi juste et bon Hugues Frenette, qui y intercalait ses tut tut tut pour nous démêler des imbroglios familiaux, pour nous faire comprendre la musique de l’Innommable…Eudoxia, Monique Mercure, nourrice et confidente de Jocaste, tellement belle à voir enfin en personne. La complicité des femmes, leur maternité, leur amitié. Tout ce que je retiendrai...


En surbrillance: les mots actuels et cohérents de Nancy Houston qui ont permis aux comédiens et comédiennes de nous les rendre encore plus humains. Vraiment, le Théâtre de la Bordée, en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde, a frappé en plein dans le mille avec cette pièce à la distribution parfaite. La musique enveloppante de Claire Gignac, la lumière divine de Denis Guérette, les costumes d’ombres et de lumières de Sébastien Dionne et Cybel St-Pierre, la scénographie impériale de Jean Hazel, les ardentes chorégraphies d’Estelle Clareton auront contribué à faire de JOCASTE REINE la remembrance d’un au-delà du jour et de la nuit…. Tant de beautés...espérées...

DISTRIBUTION
JOCASTE Louise Marleau
ŒDIPE Jean-Sébastien Ouellette
POLYNICE Éric Robidoux
ÉTÉOCLE Hubert Proulx
ANTIGONE Marianne Marceau
ISMÈNE Maryse Lapierre
EUDOXIA Monique Mercure
LE CORYPHÉE Hugues Frenette
MUSIQUE ET CHANT Claire Gignac





Les superbes photos de Nicola-Frank Vachon
http://nfvphotography.wordpress.com/2012/03/02/jocaste-reine/