lundi 30 août 2010

Marche ou crève

 POISSON SOLUBLE
L.Langlois
199?


Écrire est une noyade. Une asphyxie dans une mer située en nous. Appelée l’innommable, c’est une mer au fond de laquelle se cachent des poissons étranges et tordus, laids et dérangeants. Écrire est une noyade pour tenter de saisir, sans les laisser glisser ces poissons horriblement magnifiques. […] Ce que l’auteur entend, ce n’est pas sa raison, c’est son nom. Ce nom qu’il pressent au fond de lui-même, le poisson-soi.

Wajdi Mouawad, Le Poisson-Soi


L. Langlois
2010



J’ai soif d’un fer chaud qui m’éclate la cervelle.

Rien ne peut rester devant moi trop longtemps sans que l’envie me prenne de me déboiter la mâchoire et d’en avaler chaque fragment.

Christian Lapointe
L’Oiseau-Tigre
les Cahiers du Théâtre français
Septembre 2009
 


Aux mots du Souffleur, comédien de la férocité humaine, j'ajouterais simplement qu'on entre dans cet espace virtuel un peu comme on entre dans un temple, lieu de réflexion et de ressourcement, lieu où je peux y puiser de l'eau claire comme de l'eau trouble, où je peux y sentir autant l'encens que l'excrément, un lieu qui ne donne pas toujours l'absolution, qui tend à mener à l'action, comme celle qui me fait lever du siège plus ou moins inconfortable de ce petit théâtre pour acclamer l'artiste venu me déranger, l'artiste qui avait autre chose à me proposer que la substance habituelle des grandes tablées.

Louise Langlois, avril 2010, Voir


***



Il faisait chaud hier dans la Cité, une vraie belle journée d’enfer pour faire le farniente, mais surtout pour assister à la représentation du QU’ILS CRÈVENT LES ARTISTES, soirée bénéfice organisée par M. Hanna Abd El Nour et ses fidèles collaborateurs pour le Théâtre de l’Urd. Il faisait chaud, oui, c’est vrai, mais pas encore assez pour les co-signataires du REBUT TOTAL

Une centaine de " sympathisants " s'étaient donc réunis hier soir au CERCLE de la rue Saint-Joseph pour y entendre les textes canons des auteurs/comédiens Christian Lapointe, Sylvio Manuel Arriola et Marie-Noëlle Béland. Pour reprendre les mots du document qui accompagnait l’invitation de Hanna:

Qu’ils Crèvent Les Artistes est une fête théâtrale qui a pour but de financer les trois créations actuelles du Théâtre de l’Urd : le Projet Dante (Divine Comédie), le projet Faust et le Projet Violences (Graines De Sel Dans Les Yeux Cancer De La Langue)…

Financer, un verbe plu$ ou moin$ direct dans le riche vocabulaire des créateurs qui font plutôt dans l'outsider, un verbe fait pour rassembler les adeptes de leur cause, fait pour enlever une partie des bâtons de dynamite qu'ils se font souvent mettre dans la cinquième roue de leurs beaux carrosses cuivrés...

Il fallait être là, OUI ABSOLUMENT, pour que la Création puisse tout de même se faire sans eux, pour que le Spectateur, celui qui aime et soutient ce " genre de théâtre " puisse être à la hauteur et à nouveau comblé par les prestations à venir des acteurs souverains qui l’animeront. C’est probablement pour cette raison qu’un extrait du premier des neufs segments du Projet Faust, recréé par Hanna Abd El Nour, a été lu par Sylvio Manuel Arriola, le plus vrai que vrai; Sylvio avec son corps de verre et sa voix d’or:

" Je puis à l’aise me lover sur moi-même me réchauffer à ma propre chaleur et me reposer. Puis. Je puis à l’aise me sentir dans un état éternellement momentané de nervosité et d’angoisse. Puis. Je puis me sentir comme un trou noir où je veux disparaître où tout disparaît en toute sécurité. Puis. Dans mon estomac un lourd bagage de sons de mots un cheval de Troie. Dans mon foie une brûlure un feu. Dans mon cœur la marque d’une griffure la patte d’un reptile volant la signature d’un monde révolu un signe calligraphique un hiéroglyphe sauvage une lettre orpheline de son alphabet un pentacle magique le moyen d’un passage. Puis un pas du côté. Puis un pas en avant. Puis un pan de mur noir un miroir une image seconde un autoportrait. Puis… "

 
Et c’est peut-être pour la même raison que nous entendîmes pour la première fois le texte percutant du REBUT TOTAL, un manifeste écrit et lu par nul autre qu'un énergique Christian Lapointe (revenu des Pays-Bas), aussi radieux et révoltant que possible...Christian Lapointe, un artiste complet, qui ne se résigne pas qu’à la parole mais au geste qui l'accompagne et l'accomplit.

Ce texte, co signé par plusieurs sympathisants de l'auteur, dont M. Dario Larouche, a vraiment de quoi faire éclater la fibre de nos corps vitreux, vagabonds célestes d'une Arche célèbre, qui voguent encore sur les flots désespérés d'une mer infestée de poissons-soi...Eh oui, comme les artistes, les poissons crèvent...eux aussi...


LE REBUT TOTAL, un texte manifestant le désir d'un changement climatique entre les êtres de feu et de froid que nous sommes, un texte co-signé par QUI dit vrai, des mots qui font prendre conscience de l'urgence à ne pas baisser les bras (et les yeux), ce même si ça semble de plus en plus périlleux de le faire sans réprimandes de la part de certains organismes...

Christian Lapointe a également offert aux quelques résistants restés jusqu'à après le tirage, la lecture du POISSON-SOI, un texte d'un autre Libanais, Wajdi Mouawad, Wajdi comme plusieurs l'appellent...

« Il existe un étrange dialogue entre l’écrivain et l’écriture. Un dialogue se situant dans un autre espace-temps qui paraît lorsque l’imagination largue les amarres pour aller vers la tempête et se plonger dans le chaos des vagues immenses des choses anciennes où se trouve la beauté nouvelle qu’il faut pêcher.

« Cette beauté, je lui donne le nom de poisson-soi.

« Ce dialogue mystérieux a comme principe de base, de contrôler la volonté et de l’empêcher de décider consciemment des éléments qui fomenteront l’histoire à venir. Ce dialogue entre l’écriture et l’écrivain est une plongée. Une plongée en apnée. Une plongée où l’écrivain tente d’aller au plus profond de lui, là où la pression est énorme, pour deviner, dans l’obscurité de l’inconscient, ce qui gît là, ce poisson-soi, qui est l’objet de beauté. Une fois l’animal trouvé, réellement trouvé, le dialogue consiste alors pour l’écrivain et l’écriture, à laisser venir et croire que c’est une nature métaphysique qui est là, puisque entre eux, il sera question de la mort, de la douleur et de l’amour. Puis, par une entreprise chirurgicale dont les mots sont les multiples et savants scalpels, l’écrivain a pour mission de faire émerger ce poisson-soi à la surface houleuse de l’océan. Et de là, le ramener, le temps d’un instant, vers la rive. Le temps d’une marée basse.

« La marée basse où est échoué pour un temps le poisson-soi pêché par l’écrivain, c’est cela, pour moi, le théâtre lorsque ce théâtre est le fruit de l’écriture et la mise en scène d’un seul individu. Le temps que dure la marée basse, c’est ça la représentation, puisque le poisson-soi est là, sur le sable fin, respirant à peine, espérant le retour de l’eau. Les spectateurs, eux, regardent et observent cette méduse qui semble si fragile. Mais aussi, pareille aux méduses, on n’ose pas y toucher, car le poisson-soi est porteur de poison. Puis, la marée remonte et emporte avec elle cet animal dévoilé. La nuit tombe. Le spectacle est terminé.

Wajdi Mouawad


***



Quelques rencontres:

Olivia, une passionnée de théâtre, que je reverrai peut-être lors de cette nouvelle saison qui s'amorcera dans les prochains jours, et sûrement au prochain acte du projet Faust (qui selon Hanna devrait avoir lieu en janvier ou février). Olivia, une jeune femme tout à fait charmante, avec qui le dialogue fût des plus constructifs genre "Je crois que chaque génération passée a eu peur pour celle d’après." ...

Marc Gourdeau, directeur général de Premier Acte, et président du Conseil de la culture des régions de Québec et Chaudière-Appalaches, tout feu tout flamme, fier des neuf pièces qu'il présentera chez lui, dans son grand petit théâtre de la rue Salaberry, ce à compter du 21 septembre prochain.

Frédérick Carrier, poète/chanteur/slammeur, du groupe Zéphyr Artillerie, qui a magistralement bien orchestré l'ambiance musicale de cette soirée d'enfer.

Et bien évidemmment, Hanna Abd El Nour, le plus que sympathique MC de cette soirée parfaite de mots, de silence et de musique...qui sait comment prendre soin de son grand petit public. Sans oublier Tadeusz Kantor, qui sûrement devait rôder dans quelques uns des recoins lumineux de la Conscience des Lecteurs et, je l'espère, des Spectateurs...



À noter qu'aucune caméra ne devait se faire aller le flasheux au Cercle; Hanna nous avait bien avertis: vous pouvez prendre des photos mais je casserai votre caméra après ;-) parce qu'...il est strictement interdit de photographier, d’enregistrer ou de filmer pendant le spectacle.

Sylvio: toujours pas trouvé d'aspirine, seulement un peu d'hémoglobine...pour la gueule de l'Artiste qui a perdu une dent...)

Nous préférons la vérité à de fausses réalités fabriquées pour nous laisser croire que tout ira bien.





Illustrations: L. Langlois


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