jeudi 5 novembre 2009

LIMBES: l'Avènement du Souffleur

Crédit de l'image: Crucifixion 3
Sophie Jodoin
www.sophiejodoin.com


Les âmes vides sont attirées par les opinions extrémistes.
William Butler Yeats

Comme le héron, il est solitaire, absorbé en lui-même et il a besoin de cette solitude pour se réaliser pleinement.

La musique de la flûte se moque du Christ comme les cris de ceux qui ne participent pas à son sacrifice. Que cette flûte soit façonnée dans un os de héron n'est pas innocent. Les cris de la foule, assez proche de la pleine lune pour que le Calvaire n'ait pour elle aucun sens, sont subjectifs comme ceux des oiseaux. Les railleurs sont ainsi associés au héron.

Le théâtre de William Butler Yeats
Jacqueline Genest

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Pour l'intensité de l'interprétation, l'encensement, les sacs de papier, masques envoûtants, les regards enfoncés dans l'extérieur silencieux du non-lieu. Pour la musique, la parole remixée des auteurs, les voix distorsionnées, les torses non bombés, le savoir-dire du metteur en scène, la miche, le gaz, la fumée. À l'adresse de l'enfer, du ciel et du purgatoire: les limbes, entre le cygne de Léda et le Héron blanc, sous la lune de l'Art.

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Des bribes de LIMBES, spectacle qui flotte encore dans ma petite tête lourde ce matin. Des effluves étouffantes, de la lenteur exigeante, des gestes, des pas, des regards inscrits sous la lumière d'un lampadaire. Le fils, le père, la mère, le dieu. De trinité en trinité, s'être fait couper et les doigts, et la tête, et le coeur et les yeux. Devant les restants d'une humanité qui se cache la tête dans un sac, qui joue à l'autruche, et qui cherche encore des truffes...

La marche de l'auteur sur les eaux gazeuzes, la soif de dire avec le pouvoir de se taire, le mélange des races, l'intensité de l'efficace, les raz-de-marée rouges dans les bras des crucifiés. Le poteau électrique qui trône et connecte les ailes coupées d'un troupeau de voix ouvertes par le grand couteau. Le regard sur le pain. La faim. Le plastique entre les mains des bénis. Des bêtes à la porte, des hommes aux fenêtres: le supplice d'un bum dans le calice de l'homme. Les miettes de temps qui fermentent sous les vents. En attendant, en attendant....il n'y avait rien de plus à écrire que ce qu'il n'eut fallu nous dire...

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Sur les feuilles que les acteurs lurent au tout début de la pièce, aucun texte. Ils jouèrent dans la mémoire vive d'un homme venu d'Irlande pour ensuite se jouer des mots venus d'ICI, devant et derrière tout ce qui avait été déjà écrit. La vitesse à laquelle se fit la transition entre les époques: un peu comme la lumière de l'étincelle du simple feu de Bengale mêlée à celle du gaz et de la poudre. Nous dormirons mieux maintenant, mais rien que sur un oeil.

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Avant d'être de l'assistance de LIMBES, je suis passée à la librairie Saint-Jean-Baptiste... un chaton entre les mains du jeune propriétaire, un homme assis sur un vieux divan, la chaleur des livres dans les étagères, mais surtout, la douceur de l'homme qui accueille. Y ai trouvé la balance des Jacques Poulin qui me manquaient. Et au milieu du salon, son fantôme, vivant. La traduction est une histoire d'amour, c'est vrai Monsieur Waterman, j'ai pu encore une fois le constater hier soir avec les mots anglais d'un Yeats irlandais dans la bouche et le coeur français d'un Christian Lapointe québécois, un vrai travail d'orfèvre et de longue haleine, une oeuvre d'art.

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Le Lapin, dans sa cage, me regarde taper, il attend lui aussi, il a hâte de sortir, mais avant, encore quelques mots pour parler d'un sourire libanais, celui de Hanna Abd El Nour, le dramaturge, avec qui j'ai eu le plaisir de converser avant la pièce, lui dont j'ai un soir vu la plus surprenante des pièces, Les grenouilles et les parapluies. Le revoir, lui parler, n'a fait qu'ajouter à l'agrément de l'événement. Le hasard fait la plupart du temps bien les choses, et hier soir encore une fois: le jeune libraire m'avait parlé plus tôt de cet atelier théâtral sur la violence qu'il avait vu au cours de l'été, de cette boîte à bijou avec ballerine qui ne cessait de jouer, tellement énervant qu'il aurait aimé se lever de sa chaise pour aller la détruire, le hasard étant que cet atelier fût donner par nul autre que Hanna Abd El Nour * et que je n'en avais jamais entendu parler avant. Où étais-je donc le 18 août ? Dans les limbes, fort probablement...

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En revenant, il y avait cette nouvelle à propos d'une tuerie aux USA, une autre de plus me dis-je. Le sang de ces soldats tués hier au Texas, sous le même soleil qui brille encore ici ce matin, à la même adresse que nos lendemains de faillite. Rien ne s'arrête. Tout continue.


« Toute œuvre d’art, aussi impersonnelle soit-elle, permet dans une certaine mesure de compenser et de réparer les blessures que le temps inflige au corps et à l’intégrité de l’être. »

Carle Bonafous-Murat
La tour, de W.B. Yeats


Les formes et les choses se manifestent à celui qui n'est pas attaché à son être propre. Dans ses mouvements, il est comme l'eau ; dans son repos il est comme un miroir, et dans ses réponses, il est comme l'écho.

Lao-Tseu
Le Vrai Classique du vide parfait


* Le théâtre d'Hanna Abd El Nour



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