À l'heure où les bouteilles se couchent...
Marcher, descendre les marches, cueillir une roche, remonter les escaliers, attendre les comédiens, les redescendre en même temps qu’eux. Entrer. S’asseoir. Écouter. Voir... et espérer…
Hier soir, dans le studio d’essai de chez MÉDUSE, INES PÉRÉE INAT TENDU, un texte de Réjean Ducharme mis en scène par Frédéric Dubois….Du théâtre d'automne en plein été, une fleur à la boutonnière des rêves ravagés...L'avantage d'assister à une pièce en plein milieu de la belle saison, c'est de ne pas être dérangé par les enrhumés toussoteux...Ce soir personne ne s’est mouché, personne n’a mouchardé personne, on aurait pu entendre une mouche mourir…on aurait presque dit qu’il y avait conspiration (dépressionniste ?) entre spectateurs et acteurs…
Des tendus que nous étions (assis les fesses carrées sur nos chaises de bureau) aux coupeurs de souffles qui emplirent discrètement nos têtes d’un rire diffus à travers des répliques on ne peut plus " répliquantes ", les mots de la sélection naturelle de l'auteur fantôme, toujours bien enracinés dans le sol des planches enflammées, donnèrent tout simplement, et MAINTENANT, à espérer l’hier de force, à déterrer de son passé simple les si je me souviens bien on va se dire à la prochaine fois, à boucaner le saumon frais de la poésie des non subventionnés, à résister aux entêtés que nous sommes parce qu’au fond de nos bouteilles couchées nos vérités s'assomment.
(extrait de carnet)
Ça y est, c’est fait, j’ai enfin "rencontré" Réjean Ducharme. Il était assis juste en face de moi. Il n’était pas seul, il était plutôt SEPT ou peut-être quinze, si on inclue le metteur en scène et la direction technique et artistique. Cette pièce montée par LES FONDS DE TIROIR, c’est tout le monde qui l'a jouée ensemble...dans le carré de roches renversées.
Je ne m’attendais à rien de moins de ce que j’ai vu et entendu. Frédéric Dubois doit se réjouir du résultat final. J’aime beaucoup ce jeune metteur en scène pour son appétit de vent nouveau, sa " cuisine "versatilement indépendante, parce qu’en plus de la faire goûter au spectateur fringaleux, il sait comment lui faire res-sentir les bonnes comme les mauvaise odeurs. Parce que...
...rien n'est tout à fait parfait, et que c'est bien tant mieux...
Je pense encore à cette roche qu’on nous a gracieusement offerte avant d’entrer, et à la façon dont nous nous en sommes bon-débarrassé, ceci à la demande spéciale des comédiens qui venaient de nous dé-livrer un acte de solidarité. Comme une communion solennelle, une ode à la mort sanglante pour les deux jeunes et principaux protagonistes, qui avaient levé leurs bras, croisé leurs doigts pour tenir entre eux la fleur incassable, nous déposions nos précieux cailloux sur leurs membres mourants mais encore chauds...
OUI, Réjean Ducharme a de quoi être fier de SA langue, celle qu'il retourne SEPT fois dans sa tête avant de la day/parler, et fier des gens de théâtre d’ici, qui se l’approprient encore pour en faire un plat de résistance, qui la commémorent au nom de SA survivance.
Казана дума, хвърлен камък
Parole dite, pierre jetée
proposée par Radoslav*
LEUR LANGUE BIEN TENDUE
chantante/bouillonnante/bionique/ironique
charismatique et magnétique Sylvio Manuel Arriola
poétique/haletante/athlétique
magnifique et intense Catherine Larochelle
tendre/croustillante (comme une chips mangée à même le plancher)
généreux et productif Steve Gagnon
drôle/énigmatique
affriolant(e) Jonathan Gagnon
en perruque et talons aiguilles,
qui passait, passait et re: re: re: repassait
naïve/comique/libérante
toujours aussi ravissante Véronique Côté
pleurante/hystérique/déboussolante
sensuelle et amourante France Larochelle
pétillante/ruisselante
chaleureuse et moustillante Édith Patenaude
***
Un coffre-fort rempli de mots décachetés, d’envolées sextuelles, de bijoux d'insonorisés, d’idées rebellion, de brouhahas muets, de fracas de bouteilles…Un bain sur pied (à moitié plein) pour un homme dedans, avec sa robe de chambre (et ses sandales)…Une porte dans le ciel…Une femme qui parle…Un pistolet…Un tas de roches…De la garnotte. Des corps fumants, des corps hard corps...De la volupté d'enfants abandonnés pour enfants mendiants d’amouritié. Du mal adopté…INES et INAT, de la Beauté nourrinaissante bien en chère, comme celle du suc des trois morceaux en forme de poires... moelle substantifique pour cerveaux en quête d'imaginaire...Pour l’espérance de vie, la sucer jusqu'à sa fin…Lui prendre la main, lui faire lever le bras en l'air en lui faisant tenir entre ses doigts une fleur pas arrachable, pas cassable, pas écrapoutissable…Et pour sa postérité de l'immédiat lui faire voir un futur de sans regret, lui déposer une roche sur son corps sédi-amantaire…INES et INAT, de l’émotion cultivée...à fleur de pot…
***
Le texte m’a bien évidemment percutée de plein fouet, mais comment ai-je pu ignorer " presque délibérément " un auteur qui pourtant est adulté par à peu près tout l’intelligentsia de la communauté culturelle du Québec pas encore souverain ?!? Peut-être le Temps n’était-il tout simplement pas encore re-venu de son voyage astral à Saint-Félix-de-Valois...
À la fin de la pièce, je n’ai pu m’empêcher d’aller féliciter Catherine Larochelle pour lui confesser ma faute (avouée), mon péché sera donc peut-être pardonné. Ce soir, je suis convaincue que Réjean Ducharme sait à quel point sa pièce a été bien dirigée et bien jouée par les Fonds de tiroirs. Maintenant déviergée par Ines et Inat, L'hiver de force et Le nez qui voque, qui m'avaient été conseillés par nul autre que Patrick Brisebois, ancien jeunauteur fanatique de l'auteur fantôme, la Lectrice se fera donc un plaisir de dévorer d'ici peu ces deux livres de mots hachés qui attendent bien patiemment sur l'étagère des mal adoptés...
Merci à Sylvio Manuel Arriola pour ses mots envapés…Dans un mois, on l'a convenu, il y aura encore plus de résistance dans l'air chaud de Québec.
(Et un A+ de plus): pour la musique, pour Pascal Robitaille, qui l'a parfaitement bien ajustée au corps de la pièce. Pascal Robitaille, celui-là même qui a créé une multitude d’objets sonores pour le parcours déambulatoire lors du Carrefour International de théâtre de Québec.
INES PÉRÉE INAT TENDU
Mise en scène: Frédéric Dubois
Assistance à la mise en scène et régie: Adèle Saint-Amand
Scénographie: Frédéric Dubois
Costumes: Yasmina Giguère, assistée de Jeanne LapierreConfection des costumes: Par Apparat
Musique: Pascal Robitaille
Lumières: Denis Guérette
Direction de production: Julie Marie Bourgeois
Direction technique: François Leclerc