dimanche 26 mars 2017

POUR RÉUSSIR UN POULET : le vrai monde


Photo: Rolline Laporte


Le monde est une huître, mais on n’ouvre pas une huître avec douceur.

Arthur Miller
Mort d’un commis voyageur


POUR RÉUSSIR UN POULET: un stand up de groupe tragicomique issu de la plume pas tellement chicken de Fabien Cloutier, qui nous fait découvrir ici un texte qui décape, décoiffe, wrap pis dérape et déplume ! De quoi faire avaler goulûment un paquet de répliques aussi débridées les unes que les autres. À côté de ces tas de ferraille productrice de futurs éreintés chroniques, ramasseurs de chesseuses à 6 pour 25 piasses, un magasin fantôme...pour les mains baladeuses du vice versant dans l'interdit...



http://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-quebec/2015-2016/segments/reportage/18572/cameron-poulet?isAutoPlay=1

L’air climatisé, qui soufflait fort au-dessus de nos têtes ce soir, avait peut-être pour but de nous rafraîchir la mémoire sur cette histoire  "glissée dans le vortex de la déchéance" depuis le 23 septembre 2014, date de sa création au Théâtre de la Licorne par le Théâtre de la Manufacture.

"Ça prend un poulet d'grain
Note ça 
Poulet de grain 
Pis bio si possib'"
Vaillancourt à Mélissa
(page 9)

L’animal a peu de mobilier, il n’a ni arts, ni sciences; tandis que l’homme, par une loi qui est à rechercher, tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins.

Honoré de Balzac
LA COMÉDIE HUMAINE


Trois chaises droites comme seul mobilier de décor ont largement suffit aux cinq protagonistes pour y fixer leurs révélations pendant une bonne heure et dix. L’éclatement verbal du déclin de l’empire québécois pouvait se mettre en marche avec un raid de dialogues qui fait exploser à peu près tous les tabous qu’on puisse imaginer ici-bas Ô Canada. 

Mélissa, Vaillancourt et Judith

On a tous connu un jour ou l’autre un Steven, un Carl, un Vaillancourt, une Judith ou une Mélissa. Leur profil en est un qui correspond à ce quotidien qui nous fait tourner en rond à un arrêt de bus, dans un bar, sur le net, au dépanneur, ou encore dans la salle d’attente du CLSC. Mais curieusement jamais à l’opéra ou au théâtre. Encore une fois, le THÉÂTRE PÉRISCOPE nous a offert une pièce de premier plan qui apporte son lot de réflexions profondes sur une société qu’on aimerait parfois mieux cacher dans le fin fond d’un terroir encombré d'extrêmes en tout genre...

" Plus c’est pesant, 
plu$$$ c’est payant"


Parce que Fabien Cloutier n’y va jamais par quatre chemins pour nous raconter ses histoires « avec queues et têtes ». Parce que sa route cahoteuse est en partie constellée de petits poucets écartés des sentiers débattus et de gros chaperons bruns tristement violentés. Parce que les symboles pas toujours sexy de la misère et de la pauvreté se promènent souvent dans ses alentours. Parce qu’il sait comment leur dessiner le portrait avec ses mots durs et crus.

Photo: Patrice Laroche

Après avoir vu l’excellente À TOI, POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU la semaine dernière à LA BORDÉE, je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec le monde de Michel Tremblay : le vrai, le faux, le franc et le perfide. C’est qu’il faut en mentir une shot de temps en temps pour finir par faire croire ce qu’on veut vraiment dire…

"Plus cher 
ça peut vouloir dire meilleur"
Steven à Carl
(page 25)


"La différence entre un riche pis un pauv’
C'est pas le nombre de fois que tu manges par jour
C'est c'que tu manges ces trois fois-là."
Steven à Carl
(page 17)


Les superbes interprètes que sont Hubert Proulx (Steven Gilbert), Guillaume Cyr (Carl Beaudoin), Denis Bernard (Mario Vaillancourt), Marie Michaud (Judith Gilbert) et Gabrielle Côté (Mélissa Beaudoin), semblaient suspendus d’un bout à l’autre de la pièce aux lèvres et aux yeux de leurs collègues. Un véritable ballet de langues déliées dans le pas à peu près. 

Carl, Steven et Judith

Et parce qu’on a ri plus fort sur certaines répliques plus truculentes, et qu’on en a perdu quelques mots, A. et moi avons étiré notre luck en se procurant ce texte qui a remporté le prix littéraire (théâtre) du Gouverneur général du Canada en 2015. Publié aux éditions de L’INSTANT MÊME Dramaturges Éditeurs, il m’a dès le lendemain matin replongé dans le vrai monde « des personnages populaires à qui on ne donne pas souvent la parole au théâtre ». And The beat goes on...


Grandmas sit in chairs and reminisce
Boys keep chasing girls to get a kiss
The cars keep going faster all the time
Bums still cry, "Hey buddy,
Have you got a dime?"

"C'est pas parce qu'une banane 
a noirci su l'comptoir 
qu'à se mange pus"
Carl 
Page 54



Lori et Mégane, 7 et 10 ans, les deux filles de Carl, ne sont peut-être pas sur scène en chair et en os, mais l’on perçoit parfaitement leurs présences et même leurs odeurs, comme celle de poisson qui se dégage des maudites huîtres de la perdition sur leurs vêtements de petites écolières...;-(


Tout comme Cédric, le fils de 14 ans de Steven, on les imagine détenus dans leurs petites chambres noires en train de jouer à cette grande et lucrative comédie humaine qu’est la consommation de jeux vidéos, de chansons pop de millionnaires, de films de cul, ou encore de recettes de poulet dans une cocotte de fonte, n'en déplaise à Carl...


Des Galeries du Boulevard à Caraquet, en passant par Costco, YouTube et le salon mortuaire, les doigts enfoncés dans la gorge pour se faire vomir des hot-dogs de pauv' sur une carcasse au crépuscule, le public du Périscope ne s’est pas fait prier pour applaudir à tout rompre le fait qu’il ne s’était pas fait rouler dans la farine...des poulets morts...  


Avant de symboliser la pureté et la douceur, 
la perle est un moyen de défense pour le mollusque. 
Lorsque celui-ci entrouvre sa coquille pour se nourrir,
il arrive qu’un grain de sable se glisse à l’intérieur. 
L’huître le recouvre alors de nacre 
pour éviter les irritations.

 LES HUÎTRES DE LA SURVIE


POUR RÉUSSIR UN POULET 

Production La Manufacture

Texte et mise en scène: Fabien Cloutier
Assistance à la mise en scène: Emmanuelle Nappert 
Décor, costumes et accessoires: Maude Audet
Éclairages: André Rioux 
Musique: Valaire

Reportage avec un extrait vidéo:
http://www.lapresse.ca/le-soleil/arts/theatre/201703/15/01-5079019-pour-reussir-un-poulet-la-recette-dun-desastre.php

"L'épée translucide
À s'appelle de même tabarnac
L'épée translucide
C'pas d'ma faute osti"
Carl à Steven
(page 20)

Après la pièce, d’agréables rencontres dans le hall du Périscope, à commencer par celle de Denis Bernardqui rayonnait de contentement. L. et moi avons eu le privilège de cette précieuse conversation théâtrale. C’est un passionné de Fabien Cloutier, tout comme nous le sommes. Ils vont se réinstaller à La Licorne du 28 mars au 8 avril puis ils prennent la route jusqu’au 2 mai dans différentes villes. Nous avons a bien sûr souligner sa brillante performance du docteur Jacques Lemaire dans le troublant FEUX de Serge Boucher, que nous avons savouré avec excès l'automne dernier.


Après Mario, c’était au tour de Judith, merveilleuse Marie Michaud qui nous a tellement fait rire avec son amie facebook Jacqueline et son "ail de Chine qui fait plus roter que l'ail d'icitte", et son singe qui sent son doigt et à qui j'offre cette belle horloge en forme de homard ;-) Nous lui avons souhaité une belle poursuite du show à Montréal et en province.



Il y avait également quelques spectateurs comédiens dont Jean-Michel Déry, Marie-Josée Bastien, Catherine Simard et Samantha Clavet. Ils avaient tous visiblement apprécié la pièce. Et pour terminer ces intéressantes causeries, Guillaume Cyr, comme un seul homme, tellement imposant et accessible. Parlé de ce rôle important de Carl, de 8, que j’aimerais bientôt voir à Québec, de Mani Soleymanlou, qui est à Paris en ce moment avec ses UN, DEUX et TROIS, de L’IMPOSTEUR, qui revient à l’automne prochain, de sa page Facebook "officielle", d'ILS ÉTAIENT QUATRE et de BILLY, LES JOURS DE HURLEMENT dans lesquels il excellait. Et puis, comme le disait si souvent feu Jean Lapierre: salut salut, et à la prochaine j’espère...

http://envapements.blogspot.ca/2013/11/billy-les-jours-de-hurlement-cheese.html

http://envapements.blogspot.ca/search?q=ils+%C3%A9taient+quatre



L. était déjà partie et A. m’attendait. Dehors, y’avait Philippe Durocher, comédien, auteur et bar tender à ses heures, c’est d’ailleurs lui qui m’a servi une rafraîchissante limonade bourbon parce que je suis une fidèle au poste. On a parlé du prochain BEU-BYE, des nouveaux collaborateurs, tout pour nous donner envie de récidiver en décembre prochain parce que THE SHOW MUST GO ON...Celle-là, elle est pour toi, Guillaume « Carl »...

 Empty spaces - 
what are we living for
Abandoned places - 
I guess we know the score
On and on, 
does anybody know 
what we are looking for...
Another hero, 
another mindless crime

"LA MER C’EST BEAU
MAIS ÇA SENT"
Carl
(page 50)





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