lundi 6 décembre 2010

L'issue convenable




Les "regrattiers" * mouillaient quelquefois leur lait, à leurs risques et périls... Les boulangers eux-mêmes n'étaient pas toujours très délicats : en 1316 tandis que la disette sévissait, seize artisans furent condamnés au pilori puis au bannissement du Royaume pour avoir mêlé des ordures à leurs farines ...



Les derniers verbes

Assoter: infatuer d’une ridicule passion; s’éprendre sottement.
Mignoter: traiter d’une façon mignonne, délicate.

Dictionnaire abrégé du Petit Littré (1959)


Une sorte d’Annonciation de l’humanité jamais ne s’interrompt:
elle passe d’un visage à l’autre, infime événement.


Paul Chamberland
Cœur creuset 2008
extrait de L’ESPÉRANCE DE VIE (MOEBIUS)
Éditions Triptyque

À la croisée des chemins,
comme une fuite sans risque


À Dany Leclair, alias Kafkadanpour son Livin’ on the edge
À Patrick Brisebois, alias Prince des Ténèbres,
pour l’ensemble de son œuvre
À Simon Gingras, alias Mortifer,
pour le soutien de mes histoires
À Jacques Desmarais, alias Train de Nuit,
pour l’intérêt de ma dette…littéraire





XÉNÉLASIE, chez les Anciens, interdiction faite aux étrangers du séjour dans une ville. C’est que nous n’aimons guère les PÉTAUDS, lieux de désordre et de confusion où tout le monde est le maître. Alors, pour éviter toute VENETTE, peur, inquiétude, alarme, nous avions offert à chacun de nos habitants des JECTISSES, ces terres que l’on remue pour les jeter d’un lieu dans un autre, un YATAGAN, arme d’estoc et de taille dont le tranchant affecte une forme concave. De l' HERNIOLE, herbe au cancer ou turquette, petite plante à fleurs verdâtres, poussait ici et là, nous n’en faisions pas de SÉLAM, bouquet dont l’arrangement forme un langage muet, nous nous contentions de les regarder par les nuits de lassitude, juste avant les aubes claires…

De drôles de personnages peuplaient les Jectisses: ZANI, bouffons de comédies italiennes, GRACIOSOS, bouffons eux aussi mais espagnols, BRIFAUDS, enfants gourmands et mal élevés, TRIGAUDS, petits malins qui usent de détours et de mauvaises finesses, LOVELACES, élégants séducteurs de mauvais ton, fats et débauchés, WILLIS, jeunes filles condamnées à sortir, après leur mort, du tombeau et à danser toute la nuit, KOBOLDS, lutins immigrés de Germanie, qui faisaient parfois équipe avec les domovoï tchécoslovaques. De drôles de bêtes surgissaient dans leur décor: lapins géants, écureuils volants, corneilles à becs blancs, coyotes inquiétants, hiboux savants.

De jour, on apercevait une partie de cette faune surprenante traîner dans les rues et rangs, et de nuit, dans les ruelles sombres des Survenants. Certains parmi eux portaient des CHIE-EN-LIT, masques des jours gras, d’autres étalaient leurs charmes insolites aux QUINZE-VINGTS, pauvres aveugles qui ne les voient que par le bout macramé de leurs doigts usés. Ils jouaient la Comédie devant l’ORVIÉTAN, charlatan qui leur vendait des drogues sur la place publique, homme qui les trompait plus souvent qu’autrement par ses paroles pompeuses. On reluquait ainsi le REGRAT de toutes ces menues denrées de seconde mains que l’on vend au détail, particulièrement du sel, des grains et du charbon. Y flottait presque tout le temps une odeur de NIDOREUX, goût de brûlé, parfois de pourri, d’œufs couvis, gâtés pour avoir été trop longtemps gardés dans leurs coquilles. Cette pestilence flottait dans l’air de ce matin-là…

+Δ□۞ZÎÜL∞

Ce DÉNAIRE, inscription à dix caractères, provoqua tout le reste de l’histoire, l’énigme des Jectisses.

ENGÉS par l’événement, embarrassés quelque peu par cet inhabituel contretemps, les habitants firent appel à l’UBIQUISTE, l’Homme qui se trouvait partout, l’Homme qui voyageait fréquemment et rapidement. Ils lui témoignèrent de ce qu’ils avaient vu ce matin-là: des caractères qui ne leur disaient pas grand chose. L’Homme, qui pourtant avait l’air d’être partout à la fois, l’ignorait tout autant qu’eux.

Trois jours plus tard, une jeune willis fit son apparition aux Jectisses. Elle s’appelait FONTANGE, du nom de ce nœud de rubans que les femmes portent sur leur coiffure. Elle en portait justement un ce jour-là. Sur la place publique, il y avait un attroupement, mais Fontange préféra s’arrêter au salon de coiffure, elle voulait que la coiffeuse qui y travaille l’aide à retrouver l’épaisse masse de cheveux noirs qu’elle avait laissé tomber un soir par inadvertance. Elle aperçut sur une table un exemplaire de la revue littéraire Moebius. La coiffeuse, dédaignant les petits journaux à potins ainsi que les revues de madame, achetait plutôt ces publications qui, pour quelques sous de plus qu’une revue glacée du vernis du superficiel, se trouvait à encourager une partie de la relève littéraire.

L’espérance de vie, c’était le titre de ce recueil de nouvelles récemment publié aux éditions Triptyques. Le numéro 120 avait été piloté par un jeune ténébreux que Fontange avait déjà eu le plaisir de côtoyer depuis l’antre de ses os crevés. La masse de cheveux noirs reposait au centre de la page 78. Fontange la prit entre ses doigts et la mit au chaud dans la poche intérieure de son manteau de drap écarlate. Elle fit ses au revoir à la coiffeuse lectrice. Celle-ci avait un regard triste….

Fontange se dirigea aussitôt vers la Place Publique. L’attroupement s’était agrandi. L’Ubiquiste y était. Fontange alla immédiatement vers lui, mit ses mains entre les siennes, lui chuchota quelques secrets à l’oreille. Elle lui remit la masse de cheveux noirs au nom de la coiffeuse, puis s’en retourna dans son monde d’immortels, elle y danserait toute la nuit.

Quelques instants après sa disparition, on vit s’élever dans le ciel empourpré des Jectisses une épaisse colonne orangée. IGNIVOME, elle vomit tout le feu de l’ancien volcan. Une inscription fugitive apparut, la même que celle qu’ils avaient vu sur le dos de la chaise musicale du sage guitariste vagabond, celui qui portait toujours ses cheveux longs, celui qui interprétait inlassablement de la musique de Gitans, celui qui aimait par-dessus tout parler de philosophie, d’errance, de temps achevé, de présent condensé et d’enfants disparus…

SOYEZ OPTIMISTES,
ATTACHEZ-VOUS
À L’ASPECT POSITIF
DE L’ÉVÉNEMENT

Bien qu’il crut reconnaître quelques signes du dénaire, le peuple des Jectisses ne sut jamais réellement ce qu’il voulu dire. Et nul encore aujourd’hui ne le sait, à part le spectre souriant d’un vieil Ubiquiste...chauve.

On dit de cette énigme qu’elle pourrait être issue d’une légende venue de la Bohême, plus précisément des environs du Mont des Géants. On dit aussi qu’elle aurait pu être " provoquée " via le génie littéraire d’un certain Émile Littré, celui-là même qui avait été disciple d’Auguste Comte, lui-même disciple d’un certain comte, celui de Saint-Simon. Mais ça, c’est une autre histoire et elle ne m’appartient pas.

Claude É. Larousse,
en ce dernier jour de mars 2009


* Les regrettiers ou regrattiers sont les personnes qui vendaient des comestibles au détail dans les foires au Moyen-Âge. Au XVIIe siècle, les regrattiers revendent au petit peuple des villes les restes des riches tables de l'aristocratie, participant ainsi à la diffusion de nouvelles modes de consommation.

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