Q : Pouvez-vous
citer une chose que le théâtre vous a enseignée ?
R : Le collectif.
On ne peut pas faire de théâtre tout seul. C’est une équipe. Il faut un texte,
oui, mais ça prend des concepteurs, des producteurs, ça prend un lieu et ça
prend des spectateurs. C’est un art du collectif et c’est dans le moment
présent. Ça se passe là, MAINTENANT.
Geneviève
Bouchard et Larry Tremblay
Mardi, 26
avril 2016
LE SOLEIL *
Sur la
blessure de tes meilleurs souvenirs.
au cœur du
plus grave de tes désastres,
le sang
frais d’un jeune miraculé
qui nage entre
le feu et l’eau
La foudre
sèche,
avec les
étoiles et le soleil,
firent que sa nuit se souleva
elquidam
L’ORANGERAIE,
un roman primé de Larry Tremblay, que j’ai lu peu après sa sortie en librairie,
le 27 novembre 2014 plus précisément, m’avait bouleversée par la poésie
alarmante des jeunes sacrifiés, ceux que l’on envoie s’éclater dans les abattoirs
nourris de froideurs et d’illusions cruelles.
D’avoir pu
retrouver AMED et AZIZ ici ce soir, dans la salle de l’Octave-Crémazie, m’aura, de la même
manière que le livre l’a fait, plongée dans ce monde qui vit à l’autre bout du
mien, cet univers insoumis qui vit en apnée dans les profondeurs de la
vengeance...
Larry
Tremblay possède une plume lourde de sens, incisive, un style qui
lui est propre. Auteur maintes fois récompensé pour ses publications diversifiées:
poésies, essais, romans, théâtres, entre autres son tourbillonnant ABRAHAM
LINCOLN VA AU THÉÂTRE **, (également mis en scène par Claude Poissant), le
mystérieux et chaotique L’ENFANT-MATIÈRE ***, une dynamique de silence au cœur même
de la langue, et l’intransigeante
CANTATE DE GUERRE, qui plonge encore l'Enfant au cœur de l'histoire, c’est cependant par un roman, LE CHRIST OBÈSE, que j’ai découvert, en 2012, cette écriture de monde souterrain, comme
je l'aime tant…
Je devinais
la prodigieuse quantité d’énergie nécessaire pour demeurer soi-même, devinais
qu’il suffisait d’un moment d’inattention, d’une faiblesse passagère pour
glisser entre les fentes d’un autre que soi.
p.89
SING:
il était une fois un jour | Un jour comme tous les autres | et ce jour-là je
t’enlève à ta famille | Je te vole comme un paquet de viande | Voilà ça te
suffit tu es content
Larry
Tremblay
L’ENFANT-MATIÈRE
Larry Tremblay a eu le
génie d’incruster dans son roman des extraits de CANTATE DE GUERRE ****, pièce de
son cru créée à l’automne 2011 au THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI, et pour laquelle je
m’étais déplacée exceptionnellement hors des murs de Québec afin d'y voir jouer
en live un certain bourreau rencontré un jour au Cinéma Cartier dans le superbe
INCENDIE de Denis Villeneuve et Wajdi Mouawad. Il s'appelle Abdelghafour Elaaziz.
Il a également joué dans BESBOUSS, AUTOPSIE D’UN RÉVOLTÉ, vu en mai 2014 au THÉÂTRE DE QUAT’SOUS. Il est sans contredit un acteur émouvant, franc et juste et l’on comprend aisément qu’il soit souvent choisi pour des pièces aussi dramatiques que CANTATE DE GUERRE et BESBOUSS, mais de le voir évoluer dans un rôle disons plus léger ajouterait certainement une autre corde…à sa harpe…
Éclatée par le gel
le temps d'une agression
le temps d'une vision
le temps d'une aversion
L’ORANGERAIE
nous emmène dans un pays sans nom mais que nous devinons à l'odeur de son parfum de sang frais. Les personnages,
rigides comme des statues de marbre, presque sans vie, émergent d’un océan de
peur et d’obéissance suprême.
Depuis les éclairages d’une beauté surnaturelle, la
musique les enveloppant, ils le seront jusqu’au bout. Tout en en conservant la
nature même du pressentiment, Claude Poissant, le metteur en scène, m’a
semblé agrandir le roman de Larry Tremblay. C’est l’art du collectif, comme le
mentionne plus haut l’auteur.
AMED et AZIZ,
jumeaux de corps et d’esprit, « évoluent » innocemment au milieu de cette
famille quelque peu « élargie ». Ils partagent
le plaisir d’ÊTRE ensemble et la crainte d’être séparés. Ils ont la mort comme
compagnon de jeu imprévisible.
HALIM, un
autre fils battu puis sacrifié au nom de cet ennemi innommable et pourtant si visible,
dérange le cercle des combattants par son indifférence. KAMAR, son père, enrôlé lui aussi dans la danse des coups durs, peut-être parce que son fils possède un cœur
d’artiste, craint SOULAYED, celui-là qui fait régner la terreur, ne comprenant pas
ces états d’hommes-là.
ZAHED, le
père des jumeaux, sous l’emprise du malhumain, entre dans le jeu du dieu du
carnage, au détriment de TAMARA, son épousée, la mère qui tente, tant bien que
mal, d’alléger la souffrance maternelle de voir disparaître l’une de ses deux
progénitures.
MOUNIR, le
grand-père, mort sous l’éclat d’une bombe ennemie, hante les lieux du théâtre
de guerre tout le long que dure cette impitoyable histoire de « réparation ». Avec la voix fantôme de SHAHINA, sa tendre moitié pulvérisée en même temps que lui, les ondes de l'horreur percutent nos esprits devant l'immensité de ce mur d'incompréhension.
MIKAËL, le jeune
professeur de théâtre, qui fait sortir le méchant de la vérité cachée dans la
bouche de l’enfant Amed/Aziz par cette pièce dans la pièce, fera en partie que l’orage se
calme, nous l'espérons, pour longtemps.
MANI, l’oncle américain, qui détient le secret du mensonge et de la vérité, qui apparaît tel un big
brother sur le grand écran, apporte un certain soulagement à toute cette manigance
que la violence engendre. Il était UN, et il était temps...qu'on l'entende enfin ! Mani Soleymanlou, si authentique et généreux, que nous irons revoir bientôt aux GROS BECS; il sera QUATRE, en compagnie de trois autres jeunes moineaux dont Jean-Moïse Martin, l'excellent interprète de Soulayed...Tellement hâte de voir ce « numéro-là » !
« La pièce
se termine sur une note de paix avec une voix qui a sept ans, neuf ans, vingt
ans, mille ans…Mais l’avons-nous véritablement bien entendue ? »
Larry Tremblay
L'ORANGERAIE
la dernière page
-
Et
l’enfant dans la pièce, a rétorqué Aziz ?
-
Ne
crains rien, Sony ne mourra pas.
Page 138
LES
COMÉDIENS, tous aussi éclatés et éclatants les uns que les autres, si intenses
et tellement vrais, auront tout donné sur cette scène afin que les mots de
l’auteur y prennent vie sous une autre forme que l’écrit. Le profil des cris
mêlés au silence des non-dits, ont fait de ce moment de théâtre
exceptionnellement enrichissant qu’on puisse nous-mêmes ressortir plus investis de
cette paix tant souhaitée. C’est de là, je crois, que naît la toute-puissance affolante et apaisante du théâtre.
LES
COMÉDIENS
Gabriel
Cloutier-Tremblay: AMED/AZIZ
Sébastien
Tessier: AZIZ
Philippe
Durocher: HALIM
Jack
Robitaille: MOUNIR
Éva Daigle:
TAMARA
Daniel
Parent: ZAHED
Ariel
Ifergan: KAMAL
Jean-Moïse
Martin: SOULAYED
Mani
Soleymanlou: MANI
L’Art remplace
la terreur
quand elle n’en crée pas…
Les superbes photos du spectacle sont celles de Stéphane Bourgeois
Histoire de se mettre dans le mood oriental de L'ORANGERAIE, nous avions choisi LES DÉLICES D'ARIANA pour ouvrir davantage notre appétit à cette culture afghane qui vit là-bas...et ici...juste à côté de nos cœurs... L'excellente entrée pour deux, complétée par l'assiette kabouli au poulet, a fait de nous d'heureux rassasiés. Merci à toi cher A., inséparable compagnon, d'avoir eu le flair de me le proposer et BONNE FÊTE encore ! On se revoit jeudi pour aller faire un tour dans le Caucase...
Et pour en ajouter dans le coin des énigmatiques et
surprenantes coïncidences, cette magnifique interprétation d’ANOTHER
BRICK IN THE WALL par BIZIMKILER 3.0, qu’Abdelghafour avait posté sur sa page
facebook le 3 mai, veille de la représentation. Merci pour cette autre belle découverte musicale.
La boucle est maintenant bouclée, mais surtout, n’attachez plus
vos ceintures et détachez vos tuques, c'est le printemps...presque partout...
L'envie de prier
n'a rien à voir avec la foi
Cioran
via facebook le 6 juin 2016:
RépondreSupprimerBonjour Louise,
Je viens de voir votre message. Merci de tout coeur pour cette critique chaleureuse de "L'orangeraie". Ça me touche.
Au plaisir, Larry
via facebook le 13 mai 2016:
RépondreSupprimerMerci beaucoup Louise. C'est un plaisir de lire tout ça !
Sébastien Tessier