samedi 18 février 2017

J’ACCUSE : Parle-moi

Photo: L.Langlois
26 janvier 2017


« Parce que ma peau, mes gestes et mes pensées ne seront jamais assez blanches, jamais assez « d'icitte », jamais assez « made in Québec » pour que vous acceptiez que mon cœur puisse battre au même diapason que le vôtre. Parce que ma langue, lorsqu'elle est rattrapée par l'émotion, arrive encore très mal à dissimuler qu'elle en cache une autre. Parce que même debout devant vous sur les Plaines d'Abraham ou au Parc Maisonneuve, même en empruntant vos mots et votre accent, je n'arriverai pas à vous convaincre que je vous voudrais souverains. (...) Parce qu'il n'y a pas un Québécois qui pourrait accepter le cri d'amour patriotique de quelqu'un d'intégralement perçue comme une mal intégrée. De quelqu'un qui se sent, constamment, désintégrée par l'exil. »

Texte: Annick Lefebvre via Alice Pascual
alias la fille qui intègre


Qu’est-ce qui fait que l’on apprécie autant les créations d’ici ? Probablement à cause du jeu de miroirs, du fait que l’on s’y reconnaisse davantage que dans des productions étrangères, quoique nous sommes la plupart du temps l’étranger de quelqu'un 


J’ACCUSE d’Annick Lefebvre, un texte teinté de clair-obscur qui tombe à bras raccourci sur une société qui n’en a pas encore terminé avec le soi-disant « éternel féminin ». Ses cinq accusatrices, avec leur langue fortement déliée, dénouent la nôtre. Elles ouvrent grandes leurs âmes, donnent du coude, et parfois, à grands coups de Jarnac *, assomme l’homme, ou la femme, qui leur mettent les bâtons dans les roues. Ce sont des battantes, des fières, des pas juste sois belle et tais-toi. Rien ni personne ne peut stopper ce flot parfois tumultueux de leurs pensées non-rétractables, à part la sonnerie non-désactivée du téléphone de ma voisine de gauche ;-/…


Cette parole qui les transporte bien au-delà du véhicule dans lequel la pédale, pas toujours douce, est pratiquement toujours à fond. Ces mots qui sont parfois plus forts que des fusils automatiques, qui mitraillent à gauche et à droite pour souvent finir en plein cœur d’une chanson mélancolique d’Isabelle Boulay



La mise en scène sobre et feutrée de Sylvain Bélanger met l’accent sur le texte. Avec les comédiennes, presque statiques tout au long des cinq monologues, l’on sent combien ça peut bouger par en dedans. Le décor, composé de panneaux de gyproc, donc tout ce qu’il y a de plus rudimentaire, y faisait se baigner presque royalement des lumières teintées de rouge sang, de blanc cru, de jaune soleil. Et cette trappe dans le plancher, comme une cachette d’où sortaient  parfois les protagonistes, m’a fait penser à celles dont l’Enfance n’aurait jamais pu se passer…



Catherine Pasquin-Béchard, la fille qui encaisse, déboutonne, grafigne, observe, vend des bas nylon, des sacoches et des ceintures, qui pousse à pleins poumons toute l’énergie nécessaire pour alimenter les ruelles sombres de nos âmes douces-amères. Elle réussit prodigieusement une performance verbale des plus speedées, de quoi dépasser largement la voix du silence dans les courbes les plus dangereuses de ce monologue intense...


Catherine Trudeau, la fille qui agresse, se défend, achète et entreprend. La femme qui porte un tailleur à la jupe droite en écoutant la radio des voix qui prétendent la vérité, la femme d’affaires qui lorgne l’avenir avec prudence, qui ne sait pas plus que la fille qui encaisse ce qui l’attend dans le détour d’un imminent crash boursier, qui attend que le temps passe... 

 
Alice Pascual, la fille qui intègre, qui parle avec sincérité, qui s’intéresse à ceux et celles qui l’entourent dans son quotidien, qui aime célébrer la fête nationale, qui s’accommode tant bien que mal des manières pas toujours catholiques de ses compatriotes qui l’écoutaient presque religieusement dans la salle de LA BORDÉE ce soir. Un grand moment d’humanité comme on aime en vivre de temps en temps quand les spots nous éclairent la pleine réalité...

  
Debbie Lynch-White, la fille qui adule, qui déménage, qui déborde d’affection en centrant sa vie sur celle qui lui chante l’amour, la solitude, les bonjours et les adieux, qui s’adresse directement à l’auteure que l’on croit assise parmi nous, qui rince les oreilles d’un public un peu voyeur, qui avait hâte de faire connaissance avec elle, en personne, parce qu’il n’y a pas que la télévision pour apprécier le talent d’une femme entièrement dévouée à son art, tout comme ses quatre autres consœurs...


Léane Labrèche Dor, la fille qui aime, trop. Touchante comme pas une dans une réplique qui nous rappelle combien sont fragiles les liens qui nous unissent à ceux et celles que nous aimons le plus et qui, pour une simple note sur un blogue, facebook ou dans un courriel, nous rayent définitivement de LEUR liste d’invités sans réfléchir aux conséquences cruelles que cette façon de faire de « l’amitié » en soit une qui se comparerait presque à de la torture...




Merci à l'auteure et au metteur en scène de nous avoir livré avec intelligence et sincérité ce moment précieux qui donne accès à quelque réflexion sérieuse sur la condition féminine. En nous délivrant de ces silences qui s’impriment au verso de la peine, la joie, j’en suis certaine, resurgira.














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