Photo: Jean-François Hétu
Usine C
Un deal est une
transaction commerciale portant sur des valeurs prohibées ou strictement
contrôlées, et qui se conclut, dans des espaces neutres, indéfinis, et non
prévus à cet usage, entre pourvoyeurs et quémandeurs, par entente tacite,
signes conventionnels ou conversations à double sens ---dans le but de
contourner les risques de trahison et d’escroquerie qu’une telle opération
implique---, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, indépendamment des
lieux de commerce homologués, mais plutôt aux heures de fermeture de ceux-ci.
Bernard-Marie Koltès
DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON
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Ma mère m’a toujours dit qu’il était sot de refuser un
parapluie lorsqu’on sait qu’il va pleuvoir.
LE DEALER
p. 49
Le 25 mai dernier, dans la CASERNE d’EX-MACHINA, Hugues
Frenette et Sébastien Ricard, deux comédiens issus de la Capitale nationale, moulins
à paroles dans l’aube des désirs, réunis par le texte puissant de Bernard-Marie
Koltès, auteur français né à Metz en 1948 et malheureusement décédé un peu trop tôt à Paris en 1989.
Il y a maintenant déjà sept ans que LA NUIT JUSTE AVANT LES
FORÊTS, autre texte percutant de Koltès, nous était présenté lors du Carrefour
International de Théâtre de Québec. L’action se déroulait dans un garage désaffecté, le Garage
Bérubé. À relire MISE AUX POINGS, les mots qui me sont venus après le mirobolant solo de Sébastien Ricard, je
jurerais que je parlais d'avance de DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON.
Les tons de gris sur
le fond noir de la solitude de la nuit, combinés au regard de feu de l’Acteur,
son souffle chaud qui errait sur nos visages de marbre, tout était en place
pour désaccorder nos petites têtes de spectateurs plus qu’attentifs...
Photo: L.Langlois
Voir de si près le feu danser dans leurs regards ravageurs---Entendre leurs voix tranchantes via celle de l’Auteur---Toucher le noir du ciel du soir jusqu’aux bleus de
l’enfer---Sentir débattre le désir essentiel au cœur de la souffrance---Goûter au parfum subtil de la grâce que dégagent l'aura des
Acteurs---Voir de si près la sueur perler sur leurs corps en
transes---
elquidam
Raton de nuit, animal traqué des villes
Photo: L.Langlois
Je laisserai ICI parler les mots de Koltès, pour y retrouver
de cette essence charnelle, celle qui brûle les corps inépuisables des hommes qui jouent la nuit en même temps qu’elle façonne la maîtrise et la qualité de leur langue.
Il n’y aura ni plus ni moins pour exprimer toute l’allégresse que le public esclave et introverti de la Caserne a ressenti ce jour-là. Merci de tout cœur…Mais avant, faut écouter KEVIN ET GAETAN, qui eux aussi en ont long à raconter...
Ce que je vais raconter
ça peut se passer dans toutes les quartiers
Drette icitte en bas du pont Jacques-Cartier
N’importe où où c’est gris, ou ça pue la pluie
Où ça suinte la suie
LE DEALER
Et je vois votre désir comme on voit une lumière qui s’allume,
à une fenêtre tout en haut d’un immeuble, dans le crépuscule.
Comme un cadeau que l’on reçoit emballé et dont on prend
son temps à tirer la ficelle.
Comme une petite vierge élevée pour être putain.
Esclaves des mêmes froids et des mêmes chaleurs.
Sur le mince et plat fil de notre latitude.
LE CLIENT
Plus on habite haut, plus l’espace est sain, mais plus la
chute est dure.
Au milieu d’un tas de souvenirs pourrissants.
Le hasard des ascenseurs.
LE DEALER
L’humidité de l’heure.
LE CLIENT
La boue au fond d’un verre d’eau.
LE DEALER
Une petite peur aigue.
La botte et le papier gras.
LE CLIENT
Par la conjonction accidentelle de nos regards.
LE DEALER
L’étrangeté de la souffrance.
Que des larmes de honte dans la terre d’un champ.
Photo: L.Langlois
DANS LA SOLITUDE
DES CHAMPS DE COTON
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DANS LA SOLITUDE
DES CHAMPS DE COTON
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LE CLIENT
Comme du sang sur une terre étrangère.
LE DEALER
Une douce hésitation des choses.
Le moment où l’enfant aperçoit les barreaux de sa propre
prison.
Par la main de la providence.
La loi de la chute des corps.
LE CLIENT
Il est inquiétant d’être caressé quand on devrait être
battu.
LE DEALER
Des preuves de solvabilité.
La conformité de la signature.
LE CLIENT
Mesurant tranquillement la mollesse du rythme de mon sang
dans mes veines.
LE DEALER
Le soir est le moment de l’oubli, de la confusion, du
désir tant chauffé qu’il devient vapeur.
Un désir se vole mais il ne s’invente pas.
LE CLIENT
Les souvenirs me dégoûtent et les absents aussi.
LE DEALER
Avec la violence de l’ennemi ou la douceur de la
fraternité.
La toute dernière nudité.
Sous l’abri de la familiarité.
L’immobilité, l’infinie patience et l’injustice aveugle
de l’ami.
LE CLIENT
La violence de la camaraderie.
LE DEALER
Au milieu de l’hostilité des hommes et des animaux en
colère.
LE CLIENT
Le prix des choses.
LE DEALER
L’espoir de vendre.
LE CLIENT
S’il est dur de haïr seul, à plusieurs cela devient un
plaisir.
Je vous ferai entendre toutes les manières qu’il y a d’appeler
au secours, car je les connais toutes.
LE DEALER
Le déshonneur de la fuite.
LE CLIENT
Peut-être vaudrait-il mieux, finalement, nous chercher
les poux plutôt que de nous mordre.
Car la solitude nous fatigue.
LE DEALER
Il y a cette veste que vous n’avez pas prise quand je
vous l’ai tendue.
LE CLIENT
Un habit qui n’est qu’un habit.
LE DEALER
S’il est normal de
cracher sur la naissance d’un homme, il est dangereux de cracher sur sa
rébellion.
L’inquiétude persistante du débiteur qui a déjà
remboursé.
LE DEALER
À cette heure de la nuit.
LE CLIENT
Méfiez-vous du client : il a l’air de chercher une
chose alors qu’il en veut une autre, dont le vendeur ne se doute pas, et qu’il
obtiendra finalement.
LE DEALER
Dans votre sommeil, dans votre inconscience, au-delà.
LE CLIENT
Je ne crains pas de me battre, mais je redoute les règles
que je ne connais pas.
Photo: Angelo Barsetti
LE DEALER
Il n’y a pas de règles ; il n’y a que des moyens; il
n’y a que des armes.
LE CLIENT
Comme deux indiens, au coin du feu, qui échangent leur
sang au milieu des animaux sauvages.
Sur le trajet hasardeux d’une lumière à une autre
lumière.
LE DEALER
Dans le vacarme de la nuit.
LE CLIENT
Dans l’obscurité si profonde qu’elle demande trop de
temps pour qu’on s’y habitue.
LE DEALER
Rien.
LE CLIENT
ALORS, QUELLE ARME ?
Dans la Caserne
DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON
Texte Bernard-Marie Koltès
Mise en scène Brigitte Haentjens
Assistance mise en scène et régie Jean Gaudreau
Dramaturgie Mélanie Dumont
Scénographie Anick La Bissonnière
Musique Bernard Falaise
Lumières Alexandre Pilon-Guay
Costumes Julie Charland assistée de Yso
Maquillage et coiffures Angelo Barsetti
Sonorisation Frédéric Auger
Collaboration au mouvement Mélanie Demers et Anne-Marie Jourdenais
Équipe de tournée Christian Gagnon et Éric Le Brec’h
Direction technique Jérémi Guilbault Asselin
Direction de production Sébastien Béland
Direction administrative Xavier Inchauspé
Assistance mise en scène et régie Jean Gaudreau
Dramaturgie Mélanie Dumont
Scénographie Anick La Bissonnière
Musique Bernard Falaise
Lumières Alexandre Pilon-Guay
Costumes Julie Charland assistée de Yso
Maquillage et coiffures Angelo Barsetti
Sonorisation Frédéric Auger
Collaboration au mouvement Mélanie Demers et Anne-Marie Jourdenais
Équipe de tournée Christian Gagnon et Éric Le Brec’h
Direction technique Jérémi Guilbault Asselin
Direction de production Sébastien Béland
Direction administrative Xavier Inchauspé
Production SIBYLLINES, en coproduction avec le Théâtre français du CNA.
Photo: André Pichette La Presse
CRITIQUES
Érables rouges de Limoilou
Photo: L.Langlois
25 mai 2018
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