dimanche 28 mars 2010

Des joues en feu



Jean Cocteau, Georges Auric
Raymond Radiguet et John Russell 
Bibliothèque Jacques Doucet, Paris
don Marie Laurencin © Bibliothèque Jacques Doucet / fonds iconographique




Hier soir, au gala des Jutra, après avoir vu la joue en feu de Patrice L'Écuyer, celles tout aussi en feu d'un jeune créateur d'ici. Avec son regard embué et ses paroles vibrantes, il a encore une fois envoûter toute la place. Je n'ai pas encore vu son J'AI TUÉ MA MÈRE, mais ça ne saurait tarder. Cependant, il me plaît d'imaginer que par son audace Xavier Dolan pourrait être de ceux que l'on oubliera pas de sitôt.

Peut-être est-ce là le simple fait que je lise LES JOUES EN FEU de Raymond Radiguet ces jours-ci et que j'aie terminé LE GRAND ÉCART de Jean Cocteau il y a quelques semaines, mais il existe certainement un lien entre eux et lui, parce que la fraîche beauté de leur audace aura fait la preuve de leur touchante intelligence. Il est à souhaiter que Xavier Dolan puisse vivre un peu plus longtemps que l'impossible M. Bébé, que sa belle et surprenante histoire puisse se poursuivre ici et là, surtout là.

(Bon, il me semblait bien aussi que M. Dolan n'avait pas eu à faire qu'avec Jean Coutu...;-) En tapant Xavier Dolan/Jean Cocteau sur Googles, juste pour voir s'il n'y avait pas déjà eu quelque chose " entre eux ", je suis tombée sur cette interview du Figaro du 10 mai 2009; elle se termine ainsi:

Et, à ces mots, Xavier Dolan, baisse son pantalon. « Cela devient très intime », dit-il, amusé. Et il vous montre, tatouée dans sa chair, au-dessus du genou droit, la phrase de Jean Cocteau « L'œuvre est une sueur ».


(Et voilà. La boucle est bouclée, cher Xavier, nous venons d'assister à la naissance d'un autre beau et grandissant phénomène.)


ÉCHO

Petite niaise ! qui, pour me plaire, se fait fine taille: sa ceinture pourrait être ma couronne. Ville, statue géante, avec, en guise de ceinture, un chemin de fer. Villas abandonnées, instruments de musique qu'on n'a pas baptisés. Gai comme la romance d'un arbre en exil, le vent du Sud émeut les clochettes que le hasard accrocha au cou des beautés déchues. Banlieue criminelle; ici, les roses sont des lanternes sourdes. A quoi pensez-vous ? Quand il mourut, Narcisse avait mon âge. Lac, miroir concave; pour mon anniversaire le lac m'a fait cadeau d'une image qui m'épouvante.

Raymond Radiguet
LES JOUES EN FEU et autres poèmes


1923

En février, Cocteau s’isole quelques jours à Chantilly, à l’hôtel du Grand-Condé. En mars, Le Diable au corps est publié. En avril, Cocteau effectue un voyage à Londres et à Oxford avec Radiguet. A l’automne, Plain-chant, la Rose de François, Picasso et en octobre, à une semaine d’intervalle, Le Grand écart et Thomas l’Imposteur sont publiés. A la fin de novembre, Radiguet s’installe à l’hôtel Foyot. Il meurt, le 12 décembre, d’une typhoïde mal soignée. Cocteau, très affecté, n’assistera pas aux obsèques.


Après la disparition du petit Raymond, tout le monde se persuada que le charme était le secret professionnel des écrivains.
François Bott
Critique littéraire




LE GRAND ÉCART

(Résumé)
Jacques Forestier préparait son baccalauréat. Ses parents, obligés de vivre une année en Touraine, le mirent en pension chez un professeur, monsieur Berlin, rue de l'Estrapade, à Paris. Mais Jacques, qui émeut tant l'imposante madame Berlin, va séduire tout d'abord Louise, qui danse à la Scala. Puis il aimera Germaine, qui elle aussi est dans le spectacle. Puis il y a Nestor, Lazare et Osiris, les amants, les amis, les protecteurs de ces dames. Il y a aussi Paris et la jeunesse qui passe, comme si on faisait un pied de nez au destin. Pourtant, nous savons bien que la fête qui commence devra s'achever un jour, et qu'avant de choisir notre destin, la mort nous a déjà choisis. La carte de notre vie est pliée de telle sorte que nous ne voyons pas une seule grande route qui la traverse, mais au fur et à mesure qu'elle s'ouvre, toujours une petite route neuve. Nous croyons choisir et nous n'avons pas le choix. Dans ce roman, écrit en 1923, Jean Cocteau mêle tendresse, humour et légèreté, comme pour un pastiche. Mais derrière ces pirouettes et ces clins d'oeil, se cache un sourire plus grave. Après avoir dansé et rit, vers quel destin s'en va Jacques ?


EXTRAIT (choisi pour la scène finale entre la mère et le fils)


Le diamant, qu'est-ce ? Un fils de charbonnier, devenu riche. Ne lui sacrifions pas notre chance. Ni fleuve, ni diamant. L'eau molle et l'eau dure n'auront plus ses larmes.

Ainsi Jacques se fait des mots. Il croit fixer un type, cerner l'ennemi, le voir en face, ligoter le fantôme, se mettre en garde contre le danger connu.

Les mots fleuve, diamant, vitre, sirène, sont des fétiches nègres. Mieux vaudrait un signalement. Mais quel signalement ? Le vrai monstre a beaucoup trop de têtes différentes. Leur multitude cache son corps.

Jacques bouge, regarde sa mère en souriant. Elle se lève. Elle va faire une maladresse charmante, avouer sa jalousie.

--- Jacques, dit-elle, mon Jacques, il ne faut plus te tourmenter pour une mauvaise femme.

Jacques lâche ses résolutions d'un seul coup. Il se contracte, se révolte. Mme Forestier se rasseoit. Il cherche sur la table un porte-carte, l'ouvre, tire par bravade la photographie de Germaine. Que voit-il ? Une actrice. Il ferme les yeux. Sa martingale réapparaît. Il s'y accroche. Sa mère pardonne et, pour rompre le silence:

--- Tu te souviens d'Idgi d'Ybreo à Mürren ?

Elle compte ses mailles...

--- Le journal annonce sa mort au Caire.

Cette fois, Mme Forestier lâche son ouvrage. Jacques se renverse. Des larmes coulent sur ses joues, des larmes profondes.

--- Jacques...mon ange...s'écrie-t-elle. Qu'y a-t-il ? Jacques !

Elle l'embrasse, l'enferme dans son châle. Il sanglote sans répondre.

Il voit un lit. Contre ce lit, le dieu Anubis se dresse. Il a une tête de chien. Il lèche une petite figure toute froide, toute noble, déjà momifiée par la douleur.

Jean Cocteau
Le grand écart (p. 153-154)

POÉSIE

De son amour noircir les murs,
C'est très difficile à la ville;
Souvent les murs étant de verre
Aux patineurs je porte envie

Mais me contente de mes vers;
Seuls les voleurs sont assez riches
Pour inscrire sur la vitrine
Le prénom de leur bien-aimée.

Que ton diamant, Poésie,
Une de ces vitrines raye,
Des bavardes boucles d'oreilles,
J'achète ou vole le silence,

Pour en orner de roses lobes.
Patineur, la glace est rompue
(En belle anglaise copiée,
Ma poésie, avec ses pieds).

Raymond Radiguet
Les Joues en feu et autres poèmes


NOTRE PETIT MONSIEUR

Comme les fins fétus de paille tirés au sort, romancier de l'angélique urgence de vivre, tu te fis aimer automatiquement de la Mort/Comme le moustique gavé de sang qui éclate après avoir trop bu, ivre, comme un bourgeon gavé de ton printemps, Cocteau éclatant, s'aspergeant de ton essence/Autour de ce corps givré de jouvence, esprit libéré de toutes ses souffrances, tu préféras t'emmurer dans le Silence/Nous relisions ensemble cet unique roman dans lequel tu y avais déposé tout le talent qui méritait amplement ta frêle immortalité/Au sein de tous ces futurs malentendus, tu pourras désormais dormir en paix, décoré par les mots de ta transparence avec comme seul cachet, ton nom: Radiguet/Comme elle fût courte ta jeunesse, Ô ! Raymond, Petit Monsieur protégé des génies bienveillants/Non ! jamais les démons du midi, ces vieilles putes, ne parviendront à cerner tes yeux ni ne les rideront/Après avoir lu tes mots profanés puis consacrés, tu greffas en mon âme importée par ta douce France/ceux du symbole parfait que fût cet Amant du Temps/Amant qui donna ton sang à ceux que nous sommes devenus, ceux-là mêmes qui naquirent des deux fins poètes que vous fûtes.

Claude É. Larousse
Diatomées et Paramécies
1995



2 commentaires:

  1. Beau et surprenant rapprochement bien documenté entre ce jeune Xavier que je trouve touchant et ce vieil oiseau de Cocteau, peu fréquenté, il me semble, de nos jours.

    Code 1 : bickers
    Code 2 : satines

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  2. Cocteau, un vieil oiseau ? Un jeune COQ disons. ;-)

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