samedi 6 mars 2010

Lumières sur ma ville

Ute Wolff
Photo: Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil


Ce matin, dans la tête de mes érables, un clan de geais bleus. Ils jacassaient probablement, comme nous humains, de cette superbe température qui décore nos premiers jours de mars…Ou peut-être qu'ils jasaient du Train de Nuit, c'est son anniversaire aujourd'hui, de qu'est-ce qu'ils pourraient bien lui offrir comme cadeau ?...De mon côté, à part des mots, je ne vois pas grand-chose d'autre à lui offrir...pour le moment...

« Et hier après-midi, un grand tour à pied dans les rues de la ville. Un premier arrêt à la Librairie Le Vaisseau d’Or, là où la passionnée libraire m’a remis deux laisser-passer pour le Musée National des Beaux-Arts. Trouvé un Cocteau, édition Stock, 1947, LE GRAND ÉCART, l’histoire d’un certain Jacques Forestier qui dès la première page était déjà rendu dans mon salon. Puis Jacques Poulin et ses GRANDES MARÉES, mon avant-dernier Poulin sans qui je ne voyagerai plus jamais de la même manière à travers les rues tranquilles de cette ville, la sienne plus que la mienne, cette ville que nous avons pris pour amante en exilés que nous étions…

« Puis longer la rue St-Joseph sous le jouissif soleil printanier, de quoi faire amplement rêver au prochain été. Prendre le temps d’avancer lentement avec nos grosses bottines d’hiver parce qu’il fait encore un peu froid à Québec. S'arrêter au coin de La Couronne et Charest, entrer chez MATERIA, pour enfin la voir cette exposition de Ute Wolff, qui prend fin dimanche. Des bâtons de lumière, des lunes aquatiques, des textiles, de l'exploration à l’ombre du fil….de la vraie poésie textielle, de quoi encore éblouir mes yeux d’étain. Avoir repéré dans la boutique adjacente à la salle d’exposition un étalage de cartes, des créations de l’artiste Marianne Chevalier, et parmi celles-ci, une photo de chemin de fer ornée de fils cousus à même la carte...Ne pas l'acheter tout de suite, attendre une autre occasion...

« Sortir pour revenir sur ses pas, non, plutôt monter la Côte d’Abraham et se rendre jusqu'au complexe MÉDUSE, entrer chez VU juste pour…voir ce qu’il y a de bon à se mettre sous les yeux. Quoi d’autre que des grands ÉCRANS, ceux du photographe rimouskois Steve Leroux, pour emprunter à l’Art neuf l'un de ses sauf-conduit…Laval, en bordure de l’autoroute 15, pour me ramener dans cet étroit fond de cour semi-asphalté où j’ai habité durant 15 ans. Depuis les fenêtres de la cuisine de notre duplex jumelé, là où nous avions comme panorama la vue imprenable de l'autoroute 15, la route rapide avec une sortie pas loin de notre rue, avec tous ses lots d’accidents de vitesse, de tamponnage, de bouchons…de bruit et de pollution...Des écrans anti-bruit ont maintenant pris la place de la vieille clôture frost...
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(ÉCRANS de ciné-parc à l’abandon, qui m’ont fait me souvenir de cette entrevue que mon père avait donnée pour la télé lors de l’ouverture du premier ciné-parc au Québec; entrevue que je n'avais jamais vue ni ma mère ni mes frères, avant qu'un hasard ne se pointe le nez dans l'écran de notre vieux téléviseur...Il y a quelques années, aux nouvelles de fin de soirée, pour justement commémorer la naissance du cinéma en plein air, E. reconnut mon père dans le reportage, le temps de me lever du lit, d,arriver jusqu'au salon son image avait disparue, c'était le choc de l'avoir raté...Mais on repassa l'émission à RDI et je le vis...C'est un choc de voir son père aussi vivant, encore tout plein de sève, qui s'exprime avec émotion comme s'il jouait là son premier rôle au cinéma, avec sur le banc arrière du Chevrolet Bélair 62 (ou du Météor station wagon 68, je ne me souviens pas) les mimiques comiques d’un garçonnet de 7-8 ans qui se trouve être votre frère cadet, celui que vous ne voyez plus que très rarement aujourd'hui parce que c'est la vie...Il parlait d'écran géant pour le petit. Mon père, sa voix archivée dans le temps, par la magie des ondes du noir et blanc...)
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« Revenir sur terre pour déambuler dans la plus simple des saines solitudes, celle qui te remplit au fur et à mesure des regards furtifs de touristes encapuchonnés comme en pleine tempête, et toi, nu tête….tout comme en plein été…Rue St-Jean, la partie en bas de sa porte, où je n’avais pas mis les pieds depuis un bon moment. Il y avait encore des patineurs au Carré, je ne les ai regardé qu'un court instant préférant me rendre au plus vite chez Pantoute pour prendre possession des DÉPOSSÉDÉS de Robert McLiam Wilson, celui qui me manquait...Ne pas avoir vu Christian, mais penser qu'il y aurait très certainement une autre fois...Se rendre compte que le livre de papier n'est pas encore arrivé à son dernier souffle, toutes ces pages à retourner pour les jours à venir...

« Descendre encore un peu puis remonter la Côte de la Fabrique. Remarquer une vitrine que l’on avait jamais remarquée auparavant: CLAUDE BERRY, Arts de la table, parce que ça existe l'art de la table. La France dans ses assiettes: faïence de Quimper, de Gien, également des tapisseries et des centaines de petits santons qui vous regardent à travers les vitrines où on les a cadenassés pour les mettre à l’abri des mains fugueuses qui pourraient peut-être vouloir en déposer quelques uns dans des poches pas encore percées ou encore dans des grands sacs écologiques. Encore de la beauté, mais à quel prix ?

« Prendre quelques instants pour entrer à la Librairie Générale française, là où le plancher craque sous nos pas feutrés, là où l’on trouve presque toujours ce que l’on cherche, cette fois-ci des Anthony Phelps (que le jeune libraire a rencontré l’automne dernier alors que le grand poète haïtien était venu réciter quelques vers à l’occasion d’une soirée de lecture au Musée de l’Amérique française). Un libraire engagé de la relève, qui m'a gentiment invitée à assister à ces rencontres poétiques que la librairie, en bonne voisine qu'elle est du Musée, parraine. Le remercier de cette délicatesse et n’avoir rien acheté finalement, mais avoir en tête d’y retourner prochainement pour la chaleur de l'accueil...

« Puis avoir apprécié la gratuité de la vue panoramique que nous offre la grande terrasse du Château sur le fleuve, les quelques glaces qui flottent sur lui, molles, le rose dans le ciel de 18 heures de ce 5 mars 2010. Magnifique ! Descendre le grand escalier, tenir la rampe cuivrée. Marcher, respirer, ne pas avoir mal aux pieds parce que bien chaussés et au chaud. Passer sur Sault-au-Matelot, retrouver la St-Paul, aller s’écraser au Buffet de l’Antiquaire. Boire un thé (en poche), avaler un morceau de gâteau (au chocolat fondant), engraisser. Puis attendre la facture patiemment, la waitress étant seule sur le plancher pour servir tout ce beau monde du vendredi soir venu se la relaxer...Ne pas parler à personne. Payer. Aller aux toilettes. Sortir enfin. Admirer les aurores boréales d'Ex Machina sur les silos de la BUNGEE. Penser un peu à Robert Lepage et à son LIPSYNCH, que je verrai dans quelques jours.

« Flâner sur Dalhousie en attendant d’entrer dans la Caserne pour enfin la voir cette pièce d'OCTOBRE 70. Faire la charmante rencontre de deux jeunes étudiantes du CEGEP Limoilou qui feront un travail de comparaison entre le film et la pièce...et la réalité, celle qui m’a fait encore une fois aller le mâche-patate…Ah! ces babybaboumeuses qu’elles ont du se dire en m’entendant après les avoir quittées pour une dame " de mon âge ", une mère, comme moi, qui par un beau hasard a un fils, qui s’adonne à travailler avec…Robert Lepage. C'est ça le le bla-bla-bla des rencontres inopinées avant d’entrer au théâtre et d'y prendre l'état de son siège, parce qu'en prime on a comme voisins de palier un gentil couple tout à fait assorti, qui par un autre heureux hasard ont comme ami le scénographe d’Octobre 70

« Faut sortir de chez soi pour constater que la vie ça ne se passe pas que dans l'écran de la virtualité mais bel et bien dans cet espace qui t’appartient pour un instant, un moment qui ne passera peut-être pas à l’Histoire comme ceux qui y passèrent il y a bientôt 40 ans, non, un simple moment qui passera dans la tienne, ton histoire, celle qui te rappelle à l’humanité, qu’elle soit en péril ou en liesse…

« Puis rentrer. Mais avant, faire une dernière rencontre en attendant la 1, parler avec elle qui commence sa vie de vadrouilleuse de la nuit, puis se séparer pour prendre moi la 800 et elle la 801, pour finalement aboutir au terminus avec la 54…Commencer à lire LE GRAND ÉCART. Se dire que ce sera celui-là l'heureux élu qui partagera ce voyage dans l'autre ville...

Éventuellement, nous savons tous que l’été arrivera, mais pour le moment, c’est le printemps, celui des poètes, celui qui dure tout le mois de mars…

«Le sommeil n'est pas à nos ordres. C'est un poisson aveugle qui monte des profondeurs, un oiseau qui s'abat sur nous.»

Jean Cocteau
Le grand écart

« Bon anniversaire encore une fois, Monsieur Desmarais. »

http://www.utewolff.com/


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