mardi 8 décembre 2009

Multiplicande *





Le carnet rouge existe effectivement : il s'agit d'un bloc-notes où l'auteur consigne les anecdotes et autres événements bizarres recensés au cours de son existence. Treize brèves nouvelles placées sous le signe du hasard et du burlesque.

Evene.fr


LE CARNET ROUGE, un petit livre fait de coïncidences parfois si invraisemblables que l’on se demande si c’est réellement vrai tout ce que l’auteur nous raconte là-dedans. On s’amuse autant qu’on s’étonne à lire ces 62 pages. Après l'avoir lu, j’aurais voulu que tout le monde le lise, je le prêta donc pour la première fois à J.P., le plus grand ami d’enfance du plus jeune de mes trois frères. La vie, et ses multiples hasards, faisant qu’elle est parfois plus imprévisible que ses aléas, je ne revis J.P. que 10 ans plus tard. Il me le remit, il était toujours en aussi bon état. Et J.P. aussi. Ravie de le revoir ce petit, tout comme le Carnet, je le relu, avec autant d’intérêt que la première fois, comme si je ne l’avais jamais lu. Toujours aussi éblouissant, transportant, c’est un livre de gare, et c’est un peu pour cette raison que je décida de le prêter au Train de Nuit il y a quelques jours…

A. est la deuxième personne à qui je loua mon Carnet Rouge. A., qui aime beaucoup Paul Auster, qui lit beaucoup, qui étudie dans le cinéma...et la littérature, à qui j’avais tant louangé ce livre rempli d'inouï qu'il est apparu le matin du 1er janvier dernier, tout juste avant de partir pour Cuba, il était venu expressément ici pour me l’emprunter. L’idée de l’envoyer passer quelques jours au soleil dans le pays de Reinaldo Arenas me contenta et c’est avec grand plaisir que je le laissa s’envoler sous les palmiers. A. ne me le rendit que quelques huit mois plus tard alors qu’il devait encore une fois partir en voyage, en France et en Espagne ce coup-là. Le Carnet à nouveau revenu au bercail, pas trop magané, juste un peu basané. Je ne le relu pas cette fois, ni aujourd’hui. Mais avant de le remettre à J. chez Jules et Jim...

Lorsque j’en devint la détentrice, comme à l’habitude, j’inscrivis mon nom sur la première page avec la date, 1993, mais au plomb, ce qui est assez rare pour la grande scribouilleuse à l’encre que je suis. J’aime beaucoup travaillé dans MES livres, c’est pourquoi je n’aime pas tellement les prêter, le lecteur aurait passablement de difficulté à déchiffrer ce qui est écrit, et par l’auteur, et par moi; c’est qu’il faut faire se frayer les yeux à travers cette jungle de traits de différentes couleurs, de notes, de dessins, de barbots divers. Dans Le Carnet Rouge, il n’y a jamais eu absolument rien de souligné, pas même un simple trait au crayon à la mine comme je le fais pour les ouvrages plus dispendieux, ou plus rares, comme cette édition limitée à cent copies du substantiel James Joyce de Victor-Lévy Beaulieu ou du non moins substantiel Oeuvres d’Antonin Artaud. Non, rien de souligné, rien d'annoté, que les mots de l'auteur, probablement parce que ce " bloc-note ", comme le qualifie certains, se lit en une seule traite, et qu’à chaque fois que je le relis tout y est encore parfaitement à point, comme il y a seize ans, et comme le soir du 25 novembre où, en attendant l'auteur des Poèmes Cannibales au Jules et Jim, je ne pu résister à l'envie de le relire à nouveau. Cette-fois-ci, il m’est revenu beaucoup plus vite que prévu: à ma grande surprise il était blotti dans ma boîte à malle hier au midi, enveloppé d'un morceau de papier brun. En l’ouvrant, pour prendre la carte postale de l'homme-lapin de Drouillard, je lus ces quelques mots de J., ils étaient accompagnés d’une fleur:

" Merci

Pour certains, le hasard n’existe pas. Il n’y a que la nécessité du destin. La caricature de cela, ce pourrait être Jacques le fataliste de Diderot. Pour ma part, j’aime à savoir, avec les évolutionnistes, que le hasard est radicalement, nécessairement source de vie. "
J.D.



Sur la page où ces mots étaient écrits, au crayon de plomb, il y avait des petits picots d’encre bleue ici et là, (picots avec un t) ;-) ...un peu comme s’il avait plu du bleu d’âme dans le cœur du carnet rouge…J. avait écrit sur un post-it qu’il était désolé. J. ne le sait peut-être pas, d'autres le savent, mais pour moi le mot désolé en est un que je déteste souverainement. Il faut croire que je m’assagis avec le temps, parce que j’ai tout de même souri ce midi-là…À l’endos de " l’enveloppe brune ", il y avait un poème de stické dessus...

Chacun son Sinaï de l’envoi au déclin son Everest enfoui
dans un vivace ego chacune extravoyante ou s’aveuglant de rage
par un méfait des temps aux abords de l’alter ni l’âme qui s’affale
devant la loi des murs ni l’encre obnubilante n’auront raison du tendre

...signé Gilbert Langevin


Avec la neige, venue faire quelques braves petites bavures sur l’encre fraîche, et les picots bleus parsemés ici et là comme des micro étoiles dans ce livre-ciel de hasard, je l’appelle maintenant Le Carnet Bleu Blanc Rouge. Entre deux apocalypses, les livres vivent, leurs mots le disent, leurs tempêtes nous les prédisent…


* multiplicande: nm (mul-ti-pli-kan-d')
Terme de mathématique. Nombre à multiplier par un autre. Le multiplicande et le multiplicateur sont les deux facteurs du produit.

2 commentaires:

  1. Eh bien, je suis resolé. C'est-à-dire, rempli de soleil et de tes mots.

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  2. Avec la belle tempête qui se profile dans nos horizons tranquilles, il y en aura sûrement d'autres, peut-être moins chauds cependant...;-)

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