mercredi 26 septembre 2012

FÉLICITÉ: la voie des bons dieux



Caro/Orac13
Véronika Makdissi-Warren

Photo: Nicola Frank Vachon


"La pièce présente des questions, des outils ou des accroches qui nous permettent de prendre le pouls de notre vie. Moi, quand je tripe au théâtre, c’est que soudainement ma vie est incluse dans le spectacle, que je traverse une expérience qui me donne un regard sur ma propre vie. Et c’est à ça que je m’attends du théâtre."
Olivier Choinière
Voir Québec
13 septembre 2012




Les chambres intérieures de l’âme sont comme la chambre noire du photographe. On peut y séjourner longtemps, sinon cela devient la cellule du névrosé.

Anaïs Nin



Entre le Caesar's Palace, le Walmart et La Bordée: FÉLICITÉ, magnifique monstre à trois têtes avec une voix venue directement de l’intérieur des tripes de l'auteur. Une scénographie à ne pas vouloir toujours tout casser. Des cauchemars juchés dans la tête d'un lit escamotable. Le viol d’une enfant. Ses bleus royaux tatoués sur son corps de poupée. Ses cris étouffés dans le « ce n'était qu'un rêve » de Céline, yeux tous le tour de la tête, décomposition des notes, fractures d’âme, peine de mourir en-dedans, un monde fait d'extérieurs.

La vie vient du palier
Le vent vient de la cour
Ma chambre est habitee
Par des secrets d'amour
A la tête du lit
Deux tables de chevet
Une avec un cahier
L'autre avec un carnet d'amour
D'amour
*


Définitivement malade comme pièce. Rarement vu une aussi belle prestation de savoir-faire. Les comédiens avaient à slalomer entre trois histoires compatibles. Y’avait des belles bosses, des virages secs, de l’acrobatique, de l’extrême, du freeride.  De tout pour nous donner la chair de poule. Comment peut-on seulement ne pas oublier la performance magistrale de Véronika Makdissi-Warren. Son Orac13  doublé de sa Caro m’a particulièrement éblouie, tant par sa tenue stoïque que par ses  « déplacements » verbaux...Les tripes au vent, le cœur dans les os, l’acharnement. La vie contre la mort. De petites fenêtres grandes ouvertes pour le jeu d’un drame au jour sans nom. La divulgation des secrets bien gardés au fond de l’armoire à balais. La sottise des parents fous, celle des frères complices, la retaille d’une hostie de bonne histoire. Olivier Choinière a écrit des mots qui dérangent, qui brisent les conventions, qui font tomber les murs du silence sur ceux de la langue. Les rires fusaient jaune sur le plancher de la chambre à coucher. Les tortures d'ambiance lourde éventaient les secrets bien gardés...
Photo: L.L.

Céline Dion n’est pas venue au monde pour rien, on le sait tous, enfin presque. Elle a traversé mers et mondes pour chanter là où les anciens dieux l’avaient fait bien avant elle, Céline, pêle-mêlée dans toutes ses découpures de petits journaux, revues glacées et autres médias, semble née immortelle pour toutes les Caro et Isabelle de ce monde prisonnier des saintes images des photographes professionnels, mais également pour tous les étalagistes, préposés et gérants de Walmart de ce monde. Hugues Frenette, Patric Saucier et Lorraine Côté,  qui les personnifient sont toujours aussi justes et bons. Ils nous ont eux aussi offert un véritable tour de force. Il reste encore plusieurs représentations à l’affiche au Théâtre de la Bordée, alors, si vous avez un peu de temps pour les mots, marchez lentement jusqu'à la rue Saint-Joseph est, entrez à La Bordée, prenez un ticket pour l’enfer, ça réchauffera les froidures de vos chambres intérieures...
Moi quand j'ai besoin de vous
C'est ici que je viens
A la pêche aux bisous
A la chasse aux câlins
Je reviendrai toujours, toujours, toujours, toujours
*
FÉLICITÉ
Texte: Olivier Choinière
Mise en scène: Michel Nadeau

Distribution: Lorraine Côté, Hugues Frenette,
Véronika Makdissi-Warren et Patric Saucier
Conception: Ariane Sauvé (décor)

Gabrielle Arseneault (costumes)
Bernard White (éclairages)
Stéphane Caron (musique)





* les paroles de MA CHAMBRE ont été écrites par Jean-Pierre Ferland

dimanche 16 septembre 2012

BASH: le rentre-dedans selon LaBute



Réellement bashée par autant de talent. Vincent Côté m'a complètement renversée; un virtuose du regard. La proximité a joué le grand rôle tout au long de ces trois actes. Oui, la saison s'amorce avec force. Et nous fait oublier quelque peu le mauvais jeu de nos petits politiciens. ;-)

 Commentaire envoyé à Éric Moreault (LE SOLEIL) via facebook

LA MORT VIENT, LA MORT RÔDE;
JE L’ENTENDS ME SOUFFLER FROID
DANS LES BRAS CHAUDS DE L’AUBE

 L.L.





BASH, de Neil LaBute, traduction de Vincent Côté, adapté par le Théâtre Néo-Trique, mise en scène par Frédérick Moreau, présenté par PREMIER ACTE: de la grande classe !


Jeudi 13 septembre, atmosphère humide à Québec. La légionelle serait apparemment disparue pour le moment des tours d'eau mal entretenues. On respire assez bien quand même avec le souffle coupé, car rien de plus inspirant que de parcourir la Basse-Ville avec une cinquantaine de spectateurs silencieux pour se faire raconter trois histoires à ne pas dormir debout. Mine de rien, il faut quand même avoir une certaine dose de culot pour exercer ce genre de théâtre. La très douce température aidante d'hier soir a fait que le bonheur d'assister à cette prestation sans faille fût total.


Pas que du bon, du laid,
pas que du beau, du mauvais.


Rien de ce que vous aviez imaginé. Ou plutôt tout ce que vous avez déjà un jour pensé. De s'être retrouvés coincés ensemble entre deux chaises, à respirer le même air que celui de la chair bleuie qui se meurt, qui saigne ou s'électrocute. Un air vicié à réanimer les morts nées des nouvelles saintes écritures...

A. et moi faisions partie du groupe qui a emprunté la voie de gauche. Celle avec les verres en styromousse. Nous nous sommes tout d'abord engouffrés dans un local exigu, là où des chaises avaient été installées en rangs serrés. Martine-Marie Lalande nous y attendait silencieusement dans le remous mental de sa tourmente de mère monoparentale qui avait à nous raconter son histoire à faire peur…à la peur…


MEDEA REDUX...L'amour, l'abandon, le risque. C'est le chant voilé d'une jeune femme imbibée de cette chose engluée à son corps depuis l'adolescence, la longue descente de son passé cloué au présent. L'avenir en jeu. La fin ne révèle jamais tout à fait le pourquoi d'un geste éclatant. Dans la pièce, il y avait le bruit de l'eau chaude sur la peau d'un garçon de 14 ans...une baignoire remplie d'eau chaude. La musique de Billie Holiday jouait...Nos cœurs  aussi...




IPHIGÉNIE EN OREM...Dans son salon, l'Acteur est venu vers nous. Il nous a regardé droit dans les yeux. Nous a happé. Nos yeux roulaient à tombeau ouvert dans cette lumière chaude de suite africaine. L'histoire que nous allions entendre n'était pas que de la petite bière. C'était celle d'un homme seul nous dévoilant son passé sous la couette dorée d'un jour décisif. Un homme qui immanquablement vivra le reste de ses jours avec un secret qu'il n'aura partagé qu'avec le couche-tard d'un bar d'hôtel, celui que ce soir-là nous partagions tous. Nous, spectateurs, qui avons été complètement charmés des quarante-cinq minutes qu'aura duré son brillant mono-dia-logue. On n'a pu lui résister. Vincent Côté nous a été révélé. Le côté B de son histoire, la vraie, nous a littéralement cloué au sol. Peut-être encore plus pour ceux et celles qui étaient assis sur  le tapis de la suite.

Comment ne pas avoir été touché par les mots-couteaux de Neil LaBute ? Les mots glacés que Vincent Côté a lui-même déglacés en québécois. Une pure jouissance. J'imagine encore le geste désespéré d'un jeune père qui pousse " avec son pied ", le corps bleuissant de son enfant enfoui sous les draps de l'amour. Des draps qui auront probablement été les seuls témoins de sa conception. Nos cœurs chavirés, qui venaient d'assister à cette chose incompréhensible qu'est l'infanticide, devaient poursuivre leur route, celle qui nous mena tout droit sur la terrasse du Bar de l'Agitée...


UNE MEUTE DE SAINTS, là  où la grande finale s’est jouée en compagnie du superbe duo que Guillaume Perreault et Fanny Migneault-Lecavalier formaient. Un couple presque parfait qui nous racontait séparément, dans le bruit de la rue Dorchester, leur mission.


Tant de beauté dans toute cette cruauté. Tout le charme de l’horreur. Comme des petits miroirs d’intelligence qui graffignent et font saigner les parois poreuses de la perfection made in USA. Des lignes lumineuses pour bifurquer dans les ténèbres abrasives de l’intolérance. Le meurtre, pour pallier à cet épanchement d’(im) pureté. Pour sortir du cadre du confort, être allé voir d’un peu plus près le cœur du vide. Aucune musique, que l'éclairage des spots crus de la terrasse pour essayer de comprendre la mission des jeunes Mormons. L'éclat de l'or de l'anneau d'un gay qui brille dans les yeux d'une future jeune mariée...Une espèce de malaise en même temps qu'une délivrance. Délectés de l’air nocturne de la Grosse Pomme de Central Park, nous y étions...vraiment. Et s’il le faut un jour, nous y serons à nouveau. Nous irons jogger entre le sarcasme et la sainteté...

Neil LaBute a sans aucun doute dérouté nos petites têtes de leur trajectoire habituelle. Comme spectateurs, c’est une chance inestimable d'avoir été en aussi bonne compagnie. Jamais nous n’oublierons ses phrases coup de poing. Le Théâtre Néo-Trique, avec son excellente traduction, nous en aura foutu quelques unes en plein sur la gueule et dans le ventre. Jamais nous n’oublierons comment nous nous sommes investis dans ce périple que PREMIER ACTE nous a encore une fois permis de vivre. Merci de tout cœur. OUI, la saison 2012-2013 est bel et bien amorcée...



Un endroit trop méconnu…

« Le Théâtre Premier Acte, à la haute-ville de Québec. Un endroit magique où l’on présente du bon théâtre. »

Alain Dumas au Journal de Québec
15 septembre 2012



BASH

Production: Théâtre Néo-Trique
Texte: Neil LaBute
Mise en scène: Frédérick Moreau
Direction de production et régie: Fanny Labonté
Responsables des transitions: Carolyne Bolduc

DISTRIBUTION

Vincent Côté
Martine-Marie Lalande
Fanny Migneault-Lecavalier
Guillaume Perreault


Photos:

http://www.flickr.com/photos/50973761@N08/sets/72157631529682527/





Site personnel de Vincent Côté
http://www.vincentcote.ca/