jeudi 25 novembre 2010

UN SOFA DANS LE JARDIN: Terre des hommes, virgule...

 



« Le dur dans l'fond pis le mou en haut »


Je pose la question: les grands sauriens se sont-ils suicidés par ennui ? C’est l’hypothèse que je soumets à cette digne assemblée.

Oncle Laurent, paléontologue



Vingt-trois années s esont écoulées depuis la création de cette pièce, on ne dirait pas, l'écologie étant encore un sujet très à la mode. Le Théâtre Niveau Parking l'ayant montée comme à l'époque, le décor est donc resté le même, un décor simple mais qui ne le restera pas longtemps...



Version 1987


La chorégraphie des pelles, celle du bicycle d’exercicycle, le carré de sable, les sacs verts, la télévision dévoreuse d’âme, du rosbif dans une valise, le père vidange heures, la mère générateur, l’enfant, le dinosaure, l'oncle paléontologue…Les accumulations, la gérance des déchets, l’intermission, un monde enfoui sous les décombres, la salle remplie de rires tordus, jaunes, gras, clairs et…LE SOFA, celui sur lequel se reposent les fesses de la résistance, où sautillent les petites jambes de Charlotte...Les os de dinosaures de l’oncle Laurent, leur enfouissement, la poussière, que nous deviendrons, l’amour disparu dans nos crânes... Que ferons-nous le jour d’après? Où irons-nous camper lorsqu’il n’y aura plus un seul petit recoin de cette terre surchargée de cochonneries made in China ? Que ferons-nous auprès de nos portefeuilles vides et de nos cartes pleines ? Il faut se voir tel que l’on naît…

La couche sale des bébés désirés, le balbutiement des mères à langer, les heures d’overtime de la Charité, la nomenclature des objets volés bien identifiés, l’école/logis des futurs petits cadastrés, les contrats de mariage des bien intentionnés, les varices enflées des jambes écartelées, les foulards troués trouvés sur les bords de trottoirs égrenés, les fleurs en plastique dolloramées, les petites culottes de filles effarouchées, les coups de pelles ratés sur les terrains minés, les cellulaires allumés 24 heures sur 24, les cadres de porte pour accoter les moitiés de dessoûlées, une cigarette sirotée sur le coin d’une rue mal déglacée, des rimes en é pour éclairer la lune de l’étranger…Et quoi encore ?


***

Une chance qu’UN SOFA DANS LE JARDIN est une comédie. Parmi l’assistance, un groupe d’étudiants; d’après leurs rires généreux, ils m’ont semblé avoir apprécié la pièce, mais la fille d’à mes côtés, elle, pas plus que ça. Elle semblait être plus intéressée par ses jeunes pouces qui, à défaut d’écrire des textos sur son cell, tordaient les manches de son coat de cuir, en manque probablement...de mots…Un bruit agaçant à la longue, mais c’est aussi ÇA le théâtre, endurer l’autre, qui ne l'aime pas autant que toi...

Drôle par son côté grotesque, la pièce nous transporte dans cette cour de banlieusards où l’ironie y sauvera le monde, (j’ai déjà entendu cette phrase en quelque part, probable que ce soit cet auteur jadis jeune). Plus elle avance moins on recule. La mise en scène rythmée de Michel Nadeau rend hommage à la réalité de notre beau jardin devenu dépotoir à ciel ouvert. Via la parlotte de Charlotte, nous prenons connaissance/conscience de l’absurdité de l’appât du gain des pères nourriciers qui ne veulent au fond que le bonheur de leur petite famille. Tout cet argent empilé, étalé, éparpillé, flambé, placé, sécrété par les petites cellules de l’intelligence mal gérée, on ne sait pas trop où il s’en va mais on sait d’où il vient. L’absence des pères, arbres qui ne perdent jamais leurs feuilles, leur progéniture en manque de leurs longues branches, les fleurs qui poussent dans le gazon ozité, le plastique des plats des mères-poupées, des mères qui quittent la maisonnée pour mieux y revenir, parce que finalement, la famille, ce noyau comestible fait de fibres paternelles et maternelles tient chaud les soir de grande solitude...

Parmi le brouhaha burlesque des incompréhensions du Couple Baribeau, Lucille et Paul-André, l'intelligence de Charlotte, leur unique progéniture incarnée avec brio par Marianne Marceau, une jeune comédienne que je ne connaissais pas et qui m'a agréablement surprise par sa verve et son énergie. Pour l'accoter dans ses répliques, Marie-Josée Bastien, sa mère, Nicola-Frank Vachon, son paternel, et Hugues Frenette, l'oncle Laurent et Giacomo, beau Brummel du petit écran style grosse bertha. Aussi loufoques que rassurants ce soir, des comédiens avec lesquels c'est toujours un plaisir de renouer...
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En bas dans le hall d'entrée: Jean St-Hilaire, ce critique de théâtre " plus que du bonbon " de Québec qui hélas ! ne pratique plus sa profession officiellement, mais qui vient régulièrement faire son tour dans nos grands/moyens/petits théâtres (qui nous manque encore en fait); nous étions devant Hugues Frenette et Marie-Josée Bastien, (qui n'avaient pas encore ôté leur costume de scène), c'est qu'ils s'étaient soudainement transformés en vendeurs de calendriers anniversaires, faut bien quelques deniers supplémentaires...pour les fonds de tiroirs....Un plaisir pour l'Amateur que de parler pour la première fois à l'Acteur, celui pour qui j'étais là ce soir, parce qu'il faut être franc: lorsque le nom de Hugues Frenette apparaît sur une affiche il y a de fortes chances pour que que l'admiratrice que je suis se retrouve bien calée dans son siège pour le regarder JOUER, et ce soir, je puis à nouveau le constater: lui avec ses joyeux comparses m'ont semblé tout autant s'amuser que des petits enfants dans un carré de sable. Ce fût une autre belle soirée passée en excellente compagnie. Et comme je le disais à M. Frenette: la saison n'est pas encore rendue à la moitié !

LES CONCEPTEURS

Une coproduction avec le Théâtre Niveau Parking
Texte de Marie Brassard, Lorraine Côté, Josée Deschênes,
Benoît Gouin, Pierre Philippe Guay, Michel Nadeau et Jack Robitaille
Mise en scène de Michel Nadeau
Assistante à la mise en scène Véronika Makdissi-Warren
Décor et accessoires Monique Dion
Assistante aux accessoires Ariane Sauvé
Costumes Marie-France Larivière
Éclairages Lucie Bazzo
Musique Robert Caux
Supervision des chorégraphies Harold Rhéaume
Maquillages Marie-Renée Bourget Harvey
Distribution: Marie-Josée Bastien, Hugues Frenette,
Marianne Marceau et Nicola-Frank Vachon

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Et parfois, avant le show, il arrive que vous entriez dans un dépanneur, celui posté juste à côté de LA BORDÉE, peut-être parce que vous avez du temps avant la pièce ou peut-être parce que vous voulez simplement vous réchauffer en feuilletant la revue d'art Le Sabord, celle avec une superbe photo d'homme-lapin de la dernière exposition de Jean-Robert Drouillard, que vous l'achetiez...pour la postérité. Et en même temps, il peut aussi arriver, si vous avez des yeux tout le tour de la tête et que vous jouissiez d'une mémoire affective pour reconnaître un comédien que vous aimé, que vous rencontriez dans ce même dépanneur un NFV qui est entrain de piquer tranquillement une jasette avec le commis...
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Ironie du sort: trois gros sacs de vidanges gelés raides au beau milieu du jardin givré de St-Roch…Mais pas de sofa à l’horizon….Qu'un abribus où on essaie tant bien que mal de se réchauffer en ce soir frisquet de fin novembre…






La petite vie tranquille d'un jardin de banlieue

Photo: L.L.





dimanche 21 novembre 2010

KLINIKEN (CRISES): Le parfum de l'abandon

E.B.M. Incendie
Novembre 2010


POST-IT




Un matin, Luc se leva avec l’intention de se mortifier pour prouver que le corps n’était rien d’important et que l’esprit pouvait s’élever au-dessus de la douleur humaine. Il mit le crochet à la porte de sa chambre et décida qu’il ne mangerait plus jamais. Il trouvait que la vie terrestre était absurde, qu’il était insensé d’avoir à mâcher et à avaler continuellement des êtres vivants pour se remplir le ventre et se maintenir en vie. Il voulait suivre l’exemple des chamans qui s’imposaient des épreuves pour mourir à leur corps et renaître pur.


P. 87, chapitre 5

Sylvain Trudel
Terre du roi Christian
Éditions Quinze
 


Au cœur des têtes folles, des gestes incontrôlables, des mots sans queue ni tête, des chattes en chaleur, des lèvres closes dans les yeux aveugles, des rires jaune foncé, du sang sur les doigts pulpeux, des rôles sur mesure, de la viande autour de l’os, des ailes pour des oiseaux manchots, de la misère aux souvenirs de guerre, du séropositif dans le clavier, de la folie comme on l’aime, de la bonne vieille schizophrénie à la maniaco dépression, des hommes et des femmes dans les alentours d’une forêt aux portes ouvertes, une mémoire d’enfant abusé, des roulements de hanches, un costume pour la folie, un décor pour les zombies, une tranchée de veines noires de la destinée, une pleine lune dans la fenêtre des lubies, des garçons et des filles qui dansent, des souliers en transe, des belles vaches gentilles qui paissent dans un pré imaginaire, un doberman affectueux, de la bisbille, du chaos, du calme, des envies de s’évader, un enclos, des murs couleur plaster, des matelas vieux de vingt-cinq ans, des cigarettes roulées à l’infiniment, du café et du pop-corn, des mains et des pieds, des odeurs de parfum d’abandon, de la promiscuité, de l’incompatibilité, du désarroi, de la tendresse dans le bordel de l’humanité et un JOYEUX NOËL…


(La contrebasse de Ruben Samana, le piano de Jef Neve et le drum de Teun Verbruggen…dans le lecteur de l’ordi, une musique faite pour être écoutée sans douleur, et pourtant…)


KLINIKEN (Crises), une emporte-pièce dans l’asile de Lars Norén, quelque chose que je ne suis pas prête d’oublier. Tout d’abord pour son ensemble cohérent dans la disjonction, pour la performance exceptionnelle de Roland Lepage avec son Markus, ce jeune comédien de 82 ans qui en surprend plus d’un par ses acrobaties, son travail presque muet mais tellement physique qui a fait de lui le héros de cette pièce de renfermés oubliés par la société. Des scènes très touchantes, entre autres celle d’Anne-Marie, toujours aussi douce intense Lise Castonguay, comment ne pas avoir frissonné à l’entendre raconter SON histoire d’inceste, parce que tout le monde a la sienne; et celle de Mohammed, intense et magnifique Frédérick Bouffard, qu’il faisait plaisir de revoir, émigré bosniaque qui a vu disparaître sa famille sous les bras et les jambes des bourreaux; et Tomas, Réjean Vallée, avec son si beau visage rempli de cette bonne vieille tristesse, comment ne pas s’être mis à sa place pour seulement vivre ce que c’est d’apprendre le mal incurable qui vous tuera on sait pas quand; et la maniaco-dépression de Maud, fabuleuse Linda Laplante, qui a littéralement soulever le décor par la force de son monologue relatant SA maladie, SON désarroi, SA folie; et Sofia, anorexique, sublime Klervi Thienpont qui par la fragilité de sa voix dans l’espace restreint de sa turpitude, ne mange presque plus, passe son temps à se se purifier, comme le Luc de Sylvain Trudel; et les hyper manigances de " l’empereur " Roger, hyperactif Tourette de Christian Michaud, lui aussi au jeu très physique, hallucinant, touchant, énergique comme pas un dans sa grande vulnérabilité d’homme-enfant achattant; Érika Gagnon, avec sa Marjorie pétante de santé, mentalement parlant, qui livre une performance des plus endiablées; Anders, adoucissant Kevin McCoy, avec sa tendre folie, qui aime tellement les animaux; et Fabien Cloutier, en gardien Tomas, qui gave de pilules et surveille ses (im) patients, qui au moindre écart se fait aller le sifflet...

Tous ces personnages, sur la scène presque toujours en même temps, comme un véritable tour de force, parce que ce n’est pas toujours évident de suivre la folie…Gill Champagne a magistralement orchestré ce carnaval de démasqués, on a goûté au sucré-salé de la folie. Au sortir de la pièce, à l'arrêt de bus, une ex-infirmière psychiatrique m'a témoigné de la véracité de la pièce: « c'est vraiment comme ça vous savez ». Un fait anecdotique quelque peu inusité ce soir; j'étais assise entre deux prêtres à la retraite, mais qui bénévolent, celui de gauche a rit souvent et a semblé apprécié le spectacle, l'autre, de droite, n'a pas émis un seul rire, peut-être était-il sous le choc ou simplement muet...

***



Aujourd'hui, c’est dimanche, le 21 novembre, il est minuit passé, 'around midnight, c’est nuit de pleine lune; je pense au Roger de Christian Michaud et je ne peux m’empêcher de penser à C., ce jeune homme que je connais depuis une dizaine d'années, qui est atteint du syndrome de la Tourette, et qui vendredi soir dernier a pété une coche on ne sait pas encore pourquoi, il a foutu une peur à ses parents puis s'est barricadé pour finalement mettre le feu à sa maison. Je pense aussi à F., cet autre jeune homme que j'ai connu il y a quelques années, qui a tous les symptômes de la bipolarité, qui faisait peur aussi, et à tous ces dépressifs chroniques, schizophréniques, etc…parce que la maladie mentale ne touche pas que celui qui en est atteint mais les membres de son entourage, ses amis, ses parents, ses collègues de travail. Je pense aux fous, aux vrais, les grands, les beaux, les démesurés, les accrocs, les sans-génie, les délaissés-pour-compte: combien d’entre nous en sommes ? Combien d’entre vous en serez ?…C’est pourquoi, dans quelques jours, je retournerai voir ...ET AUTRES EFFETS SECONDAIRES, pièce qui traite de la schizophrénie, qui avait été jouée l’an dernier chez Premier Acte par la compagnie DES MIETTES DANS LA CABOCHE, pour revoir le jeu absolument " débile " de Jean-Pierre Cloutier et Matthew Fournier, deux jeunes comédiens exceptionnellement beaux et talentueux et la plus qu'énergique mise ne scène de Marie-Josée Bastien, mais avant cette représentation: UN SOFA DANS LE JARDIN, du Théâtre Niveau Parking, quelque chose qui devrait bien se faire voir en ces temps farcis de moyenne noirceur...


KLINIKEN (Crises)

Texte Lars Norén
Traduction Arnau Roig-Mora, Jean-Louis Martinelli et Camilla Bouchet
© L'Arche Editeur
Mise en scène Gill Champagne
Scénographie Jean HazelCostumes Dominic ThibaultMusique Marc Vallée
Une coproduction avec le Théâtre Blanc

samedi 13 novembre 2010

LES GRANDS-PÈRES (roman): Regard dans les fenêtres

Léopold Charette et Cléophas-Georges Langlois





Le monde de sa tête allait mourir au fronteau de la terre, noyé par ce fleuve qui sortirait de lui dans une violence terrible, détruisant toute végétation, faisant éclater les rochers et les granges, et toute chose jetée au devant de lui pour l'apaiser.

p. 53 chapitre 6

Victor-Lévy Beaulieu
Les Grands-Pères
Éditions Stanké




La mort rôde dans les bois ce soir; la mort des pères, la mort des grands-pères, la mort des oncles jumeaux, la mort des fils, la mort des petits-fils, la mort des neveux, la mort des hommes...


Des chatons qui dorment en boule dans les garde-robes. Chien-Chien Pichlotte qui fabulait pour tromper la monotonie des routes. Le soleil qui est un gros œil au-dessus des forêts. Le monde comme un grain d'avoine jeté dans la terre tiède. Des trous de sentiments.

De la distorsion dans le pays. Des cercles dans œil. Saint-Jean-de-Dieu, entre Trois-Pistoles et Rimouski. Des odeurs de fumier. DE l'autre côté du miroir. Une maison pleine de bouscottes crottés et de morveux. De la tendresse brutale. De la peau flasque. Des jeux de cartes. L'oeuvre de destruction.


La mort c'est long des fois, ça veut vivre avant de finir.


***


15 et 16 juillet 1995

Mon tout premier voyage dans le majestueux Bas-du-Fleuve...Kamouraska, Rivière-du-Loup, Cacouna et...Trois-Pistoles. Que de la beauté pour ce court mais si intense pèlerinage.

Dans Le Grenier d'Albertine, ma deuxième rencontre avec le maître des lieux. Brève mais importante. Conversation à propos de La Maison de VLB. Des gens attablés avec lui, il leur est donc revenu. Un drink sur la terrasse. Un temps pour relaxer en plein bleu du ciel. Un rêve qui reviendrait de l'éternel. Un petit tour dans le grand Bric-à-Brac de Jean-Claude, le frère du boss. Deux petits cadres dorés dans lesquels prendront place plus tard une affiche du Bonheur Total et une photo de l'Auteur. Une marche au bord du quai. La vue imprenable sur le fleuve comme une nappe d'huile. L'air salin dans la fraîcheur de ce 15 juillet. Quelques photos panoramiques. La rue Notre-Dame à nos pieds. Un bonne brochette de fruits de mer au Michalie. Un magnifique coucher de soleil avant d'entrer au Caveau-Théâtre.

LE BONHEUR TOTAL, une pièce comico-satirique mettant en vedette une certaine téléromancière qui sait comment actionner ses manigances. Le rire de l'Auteur et de celui d'un illustre comparse. Dans l'Auberge Trois-Pistoles, ma première nuit au pays de Bouscotte. Le petit-déjeuner pris dans la salle à manger conviviale. La rencontre clin d'oeil dans le couloir avec Claude Jasmin, LE comparse de la veille au rire riche et gras. La petite promenade dans les alentours paisibles. Quelques souvenirs pour les enfants achetés à la Librairie: un petit béluga en peluche pour Nelson et un requin en plastique pour Jeffrey. Et LES GRANDS-PÈRES (à 6.95$), mon troisième ouvrage de VLB. Plus le regret de ne pas m'en être procuré quelques autres de lui au Grenier la veille. Mais ce ne serait que partie remise...

Puis le retour au bercail en passant par Notre-Dame-du-Portage, Berthier-sur-Mer et l'Île-aux-Grues. Charlesbourg, chez le grand-père, qui avait gardé ses deux petits-fils pour que leurs parents aillent prendre l'air ailleurs... Et dans les jours qui suivirent, mes impressions à chaud sur mon pèlerinage pistolois. Puis l'écoute de la Passion selon Gilles Pelletier à la radio de Radio-Canada. Pour être à nouveau en toute complicité avec l'Auteur de L'Héritage. Et la naissance de Contre la vent, avec la marée,opuscule hommage pour le Géant qui venait d'entrer par la grande porte en bois mou de mon cœur.


Photo: L.Langlois


lundi 8 novembre 2010

LE CARNET DE L'ÉCRIVAIN FAUST: le numéro 144





---ces détours et ces retours, ces prises et ces méprises, ces poursuites et ces non-suites, ces dédoublements et ces redoublements, ces détournements et ces retournements, comme une machine infernale et théâtrale jetant ses dés pipés dans l'espace québécois non encore advenu, ce qui me paraît être le sens même, dans sa déraison hystérique, du Beauchemin premier forgeant ses golems de fer tout au long de la Grande Tribu. Mais pourquoi tant de déréliction ? Peut-être qu'à relire encore ça se laissera comprendre par-devers tous les torts et tous les travers de l'écriture ? Ce besoin éperdu de croire malgré tout, quelle naïveté !

p.137

Victor-Lévy Beaulieu
LE CARNET DE L'ÉCRIVAIN FAUST
Éditions STANKÉ


Le tirage de cette édition, achevé le 19 janvier 1995, à Louiseville, sur les presses de l'Imprimerie Gagné, a été limité à cinq cents exemplaires, sur papier Suprême mat 120M. Le boîtier est la réalisation de Reliure Rive-Sud. La conception graphique et les illustrations sont l'oeuvre d'Olivier Lasser. Chacun des exemplaires contient un document autographe unique de l'auteur, sur papier Saint-Gilles, tous numérotés.






Il voulait faire venir la Rome nouvelle mais elle,
elle n'était pas
pour ça de venir de même,
dans une grosse Bible
toute
ramanchée
de travers

12 janvier 1995
144/500


Le mien, c'était le 144, l'extrait provenait de La Grande Tribu, Troisième débris. Ça se passait le 20 juin 1995, il était là, à la librairie du Beau-Port (devenue plus tard la Librairie Morency). Je crois qu'il n'y avait qu'un seul exemplaire de ce livre édition de luxe limitée; il se détaillait 75$. Ce serait donc mon deuxième VLB et non le moindre.

J'ai bien du le lire au moins trois fois au complet (217 pages), et je ne compte plus les fois où je l'ai simplement pris pour le feuilletter, le sentir, le toucher; il est rempli de surlignage, du bleu, du jaune, du noir, pas de plomb dans celui-là, la mine ne glisserait pas comme il faut sur le papier Suprême mat 120M...

Des couleurs, des odeurs, des mots, imbibés d'alcool, qui m'ont aidé à poursuivre son oeuvre. Il y a là des passages que je qualifierais de majeurs, cette grande connaissance des autres auteurs, parce que Victor-Lévy Beaulieu est je crois l'un des plus grands lecteurs que le Québec ait connu. Sa bibliothèque personnelle en fait foi. Il suffit simplement de prendre ce livre sur soi, d'y jeter un regard direct, ou oblique, c'est selon l'envie de lire du lecteur, pour comprendre comment l'oeuvre s'est créée...

La Grande Tribu en était à sa septième version de 1000 pages chacune, tout ne s'y trouvait pas encore. L'alcool coulait à flot entre la Boisbouscache et le Fleuve, et l'Hôtel Canada...les filles sauvages, le petit chien malcomm Hudd, et la femme rare...L'oncle Phil qui entrait et sortait du paysage, la Baleine Mère, le Grand Venable, la polio, les salons du livre, les chevaux, Louis David Riel, Jean-Louis Millette, Aurise, la Mer océane, l'homme cheval, Elvis, la Bête Nyctalope, la Boisbouscache, St-Jean-de-Dieu, Méphistophélès, l'Héritage...Et les finances domestiques.

Des notes, des mots sur son écriture et sur celle des autres: Ferron, Dickens, Hugo, Ducharme, Joyce, Aquin, Beckett, Kérouac, Miller, Proust, Zola, Thériault, Faulkner, Hénault, Cocteau, Pilon, Basile, Borges, Blais, Atwood, Jabès, Sartre, Lemelin, Prévert et plusieurs autres qui ont fait de lui ce lecteur on ne peut plus dévorant...

Des endroits où il a vécu: Montréal-Nord, Sainte-Emélie-de-l'Énergie, Terrebonne, Lorraine, Outremont, Trois-Pistoles, comme si on y était, pour avoir envie d'aller le voir, chez lui, dans son coin du ciel bleu, dans le Bas du Saint-Laurent...Un tour du monde en l'homme et son coeur, pour s'assoiffer de ses souvenirs de lectures, pour en apprendre toujours davantage sur le cheminement de SA création, pour le définir comme le plus beau monument de la Littérature. C'est après la première lecture de ce Carnet rempli de déchirures que, comme le démon de la chanson, j'ai fini par embarquer dans SA voiture...

Jacques Ferron est mort hier matin avec la barre du jour (à six heures trente). Comme je l'aimais Jacques Ferron, et par après comme c'est terrrible de ne pas avoir su l'aimer totalement !

page 205



à-Dieu vat !



Photos: L.L.




vendredi 5 novembre 2010

LA MONTAGNE ROUGE (SANG): Occupation double

Illustration: 1g2



LE JEUNE HOMME

J’suis fatigué comme une chaise qui craque
comme un piano désaccordé
comme un pianiste qui a vendu son piano


comme un correspondant qui écrit pus
une clôture moisie
un batteur de femme


comme un plongeur dans un Normandin le 1er janvier

Steve Gagnon
La montagne rouge (SANG)

La journée avait commencé par une belle et bonne nouvelle: une vie de plus s’ajouterait peut-être aux nôtres l’été prochain, puis une moins bonne, une autre vie disparaîtrait probablement d’ici quelques semaines…C’est donc avec la joie accolée à la tristesse que je gravis les marches sacrées de LA MONTAGNE ROUGE (SANG) ...


Autour de nous, les remous silencieux du fleuve invitant,
et la montagne refuge, comme un certain asile de pureté…
(Une pensée furtive ici pour Claude Gauvreau...)

TABULA RASA


Ce silence lourd de conséquences dans le Périscope, comme un sorte d'avant-suicide " collectif " autour d'un monde empreint du faux semblant de la perfection. Dans les rôles outrageux des âmes en désarroi: le mal-être, le vide affolant du bien-pensant, l’aurore qui descend lentement sous la couette molle de tes amours endoloris. L’instant d’apprêt, tout ce qui nous le fait, tout ce qui nous le défait.

Les mots souffrants de La montagne rouge (SANG) m’ont tout simplement coupé le souffle. De toute manière, nous sommes tous presque morts, nous n’avons plus rien à perdre ni à gagner et nous avons toujours aussi droit qu'avant à l'erreur et à l'exactitude. Ce texte a de quoi faire revirer le sang de bord, le fouetter, le battre... pendant qu’il est encore chaud…Création du Théâtre des Fonds de Tiroir, cette oeuvre possède tout le prestige d'un grand classique, à voir et à revoir.

Steve Gagnon, l’auteur de la pièce, a de la dynamite dans son crayon mais il sait également comment dessiner les silences les plus purs et donc les plus intenses. Des silences profonds pour mieux meubler l’immensité de son théâtre. Des silences de ouate dans les oreilles pour mieux capter le choc de ses mots saignants. Du fin fond d'un autobus paqueté d'étudiants amoureux qui n’arrêtent pas de s'embrasser comme des rois qui cachent de l'or dans leur bouche, de se frencher, LA MONTAGNE ROUGE (SANG), un genre d'occupation double comme vous n’en verrez jamais jouer dans votre salon sur votre super grand petit écran de plasma. Une heure et quart de haute définition pour entrer sous la peau fripée et mouillée des deux jeunes et prodigieux comédiens que sont Claudiane Ruelland et Steve Gagnon.

Un temps d’arrêt de mort en ce temps pluvieux de novembre. Des mots perdus entre les limbes gazonnés d'une forêt fantôme et les bras tendus au ciel d'une vendeuse de crème glacée en plein milieu de d'l'Afghanistan, des mots parfois durs et tordus, colériques, coupables, palpables, tristes; des mots venus de l’amour, du grand, du vrai peut-être, celui que l’on croyait " normal ", celui qui vous donnait des coups de pieds dans le ventre et qui vous brisait les os…

VENTRE et OS…comme dans LA MONTAGNE CHAIR et LA MONTAGNE BLANCHE, les deux prochains épisodes de cette trilogie refuge…

Dans le rôle de la jeune femme: Claudiane Ruelland, lumineuse comme un ange, au timbre de voix parfaitement ajusté aux mots tendres/crus/mous/tendus que l’auteur a créé pour elle et lui, Juliette qui aurait survécu à Roméo, sculpture salée bonne à sucer...Et dans celui du jeune homme, Steve Gagnon, beau comme un dieu, la tête lourde dans un corps de pluie, pieds nus au vent, yeux pleins de cette lumière qui carburent à même le plasma des étoiles, créateur d'un vrai monde qui fait encore partie du nôtre...

Frédéric Dubois signe ici une mise en scène souple/statique/rigide/fluide, superbement soutenue par des éclairages tamisés/sombres/crus, selon les mots de l'auteur, constellée de sons venus d'une profondeur qui se rend jusqu’au fond de la douleur de celui parti en coup de vent et de celle restée assise sur le bord de ses questions…Comment ne pas s’être senti aussi bien que mal devant l’inconfort de la table/lit à tiroirs, des chaises qui assoient le torrent des larmes et des colères…des chaises qui craquent…

Toute cette pluie ....vulnérable sous les autos ...qui s'abattait dans les rues de Québec hier soir à la sortie du Périscope, cette eau avec des restants de feuilles fragiles accrochées aux arbres solides…Dans l’autobus, sur les vitres, des gouttes venues d'un torrent…d'une chute. Et aucun couple d’amoureux à l’horizon dans le fond de l’autobus.


LA MONTAGNE ROUGE (SANG)

Texte Steve Gagnon
Mise en scène et scénographie Frédéric Dubois
Assistance à la mise en scène et régie Adèle Saint-Amand
Interprétation Steve Gagnon et Claudiane Ruelland
Scénographie, costumes et éclairages Sébastien Dionne
Mouvement Geneviève Dorion-Coupal
Environnement sonore Uberko
Direction de production Julie Marie Bourgeois
Direction technique Matéo Thébaudeau
Production Théâtre des Fonds de Tiroirs

 
En guise de souvenir: le texte de la pièce. Édité à L’INSTANT MÊME, il était offert au bar du Périscope pour seulement 12 dollars. Douze beaux dollars pour quelques soixante-dix pages d'un texte qui fera inévitablement des petits, douze gros dollars de plus à verser dans la cagnotte de la Culture au lieu de les gaspiller en douze babioles à no future...



" Toute ma croyance vierge t’est ouverte comme une sorte d’église sans dieu où tu pourras mettre ton âme au chaud dans le tabernacle. Ce sera un lieu sacré où il fera bon ne pas mourir. "


Ce sont ces mots sensibles de Sylvain Trudel que l’on retrouve en exergue du livre, on peut dire qu'ils sont de circonstance...






Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n'en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D'une nuit qui n'en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n'en sont pas revenus


Demain, c’est le 6 novembre, Barbara l’a déjà chanté.

CHANSON POUR UNE ABSENTE

La revoilà, en souvenir d'un ange noir de l'adolescence...