lundi 25 janvier 2016

QUILLS: au-delà de la monstrueuse liberté du Divin

Photo: Caroline Grégoire




« Le plus honnête, le plus franc et le plus délicat des hommes, le plus compatissant, le plus bienfaisant, idolâtre de mes enfants, pour le bonheur desquels je me mettrais au feu (…) Voilà mes vertus. Pour quant à mes vices: impérieux, colère, emporté, extrême en tout, d’un dérèglement d’imagination sur les mœurs qui de la vie n’a eu son pareil, athée jusqu’au fanatisme, en deux mots me voilà, et encore un coup, ou tuez-moi ou prenez-moi comme cela; car JE NE CHANGERAI PAS ».

Donatien Alphonse François de Sade 
à sa femme Renée-Pélagie de Montreuil
Septembre 1783



Sade sympathise avec le directeur de Charenton, M. de Coulmier. Ce dernier avait toujours cru aux vertus thérapeutiques du spectacle sur les maladies mentales. De son côté, le marquis nourrissait une passion sans borne pour le théâtre. Il va devenir l’ordonnateur de fêtes qui défrayèrent la chronique de l’époque.

Sources: wikipedia





Pour la rentrée de la demi-saison, 
on ne fera pas dans la dentelle:

QUILLS nous a sciés en deux,  
fendus  en quatre, 
écartelés,
pris de tous bords tous côtés,
éclaboussés, 
éviscérés,
dévorés, 
envoûtés
tiré la langue à terre,
fait tout simplement perdre la tête.
Point final.


LE MODÈLE ROUGE *
René Magritte
1935

Le problème des souliers démontre combien les choses les plus barbares passent, par la force de l’habitude, pour être tout à fait convenables. On ressent, grâce au MODÈLE ROUGE, que l’union d’un pied humain et d’un soulier en cuir relève en réalité d’une coutume monstrueuse. 

Mes tableaux ont été conçus pour être des signes matériels de la liberté de pensée.

René Magritte





Une mise en scène de virtuoses, de purs moments de grâce, QUILLS, de l’américain Doug Wright, traduit par Jean-Pierre Cloutier, a créé dans le Trident d’Anne-Marie Olivier un espace absolument dément le temps de quelques deux heures vingt, le temps de faire le tour de l'asile de Charenton, là où le Divin Marquis fût enfermé avec toute la crispante folie des autres. La scénographie, les costumes, les éclairages, l’ambiance sonore, les accessoires, les maquillages, les perruques, tous parfaitement « attachés »  les uns aux autres, une véritable liaison…dangereuse. Et la touche techno, indispensable dans l’œuvre de Robert Lepage, qui encore une fois nous aura éblouis du début à la toute fin. Virtuose…jusqu’au bout des doigts !

Photo: Journal de Québec

L’équipe de production EX-MACHINA a de quoi se péter les bretelles et non pas la gueule. Avec son Théâtre fait de surprises, d’ébahissements, de magie, d’éducation et de respect pour l’Art, il en dérange peut-être quelques-uns et quelques-unes de par son audace mais quand on traite d’un sujet aussi sulfureux que celui du Marquis de Sade faut quand même pas s’attendre à faire dans la dentelle mais à recevoir en pleine tête quelques raclures et giclements de toutes sortes. 


Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage
Photo: Erick Labbé


Je n’en attendais pas moins de la lecture personnelle qu’en ont fait messieurs Lepage et Cloutier. Ils ont proprement exécuté le travail qui était celui de nous promener divinement dans les hauts et les bas de cette œuvre tant controversée mais ô combien si nécessaire. Parce que notre monde actuel n’est pas non moins pire que celui de 1814…




« La Révolution française est une période historique d’une violence inimaginable pour nous. On a coupé la tête à des milliers de personnes au nom d’idéaux politiques, à un point tel que la guillotine devait être déplacée à travers Paris parce que l’odeur du sang incommodait les gens. Je trouve qu’il y a là, en quelque sorte, une forme de justification de la violence pour le bien. Tout est une question de perception. Par exemple, on parle des films de Tarentino comme étant extrêmement violents, mais la violence qui se passe pour vrai à chaque jour, je ne sais pas si on serait capables de la regarder en face. »

Jean-Pierre Cloutier
Extrait du programme


Robert Lepage et Jean-Pierre Cloutier à propos de la censure:


http://www.lafabriqueculturelle.tv/capsules/6477/robert-lepage-et-jean-pierre-cloutier-reflexion-autour-de-la-censure






LES COMÉDIENS




Robert Lepage, entier, vivant, majestueux, habillé, nu, toujours aussi achevé et articulé, il porte la pièce sur un piédestal devenu échafaud. Son marquis de SADE en sera un qui restera collé dans nos mémoires encore longtemps. À chaque fois, je me dis la chance et le bonheur que nous avons d’assister à l’une de ses rares performances, de le voir en chair en os, d’entendre sa voix unique. Je ne peux m’empêcher de penser à tous ces grands dramaturges qui l’ont précédés et qui sont encore joués depuis des siècles. Il fait partie de ce groupe d’élite qui bâtit le Théâtre pièce par pièce, qui le façonne projet après projet, qui le réaménage et le promène de par les diverses scènes du monde. C’est un honneur infini que de le côtoyer ICI, dans les jeunes murs de notre Cité. Vous dire combien j’ai hâte de prendre place dans son DIAMANT ne s’écrit pas…




Jean-Pierre Cloutier, précieux acolyte de Lepage dans ce projet audacieux, interprète un abbé de Coulmier rempli de tourments silencieux et de vérité, pas toujours facile à dire. Homme qui combattit le mépris en même temps que l’admiration qu’il avait de l’écrivain prolifique et contesté que fût Donatien Alphonse François. Il a offert un jeu impeccable qui je crois transformera à jamais l’homme de théâtre qu’il est devenu depuis son odyssée circassienne avec Éos. Pour avoir assister à la plupart des pièces de créations auxquelles il a participé, de BANG ! à TRAINSPOTTING, et avec ce que j’ai vu mercredi soir dernier, j'imagine un peu ce que l’avenir lui réserve comme autres retentissants succès...




Jean-Sébastien Ouellette, encore une fois à la hauteur des exigences des mots de l’auteur et des deux metteurs en scènes, ce même si sa perruque le rendait quelque peu méconnaissable ;-). Un docteur Royer-Collard, médecin en chef de l’asile de Charenton, qui ne croit pas tellement aux vertus thérapeutiques des séances théâtrales de l’abbé Coulmier…





Érika Gagnon, épouse épouvantée, drôle à point, folle à souhait, énergique, hypocrite, prête à tout pour que l’on fasse taire l’homme jadis tant aimé. Renée-Pélagie de Montreuil, la Correspondante, copiste, relectrice des textes de son mari, mère de leurs trois fils, soumise et dévote, masochiste, sacrifiée...   




Mary-Lee Picknell, transcendante Madeleine, lavandière fidèle au pied du maître emprisonné, qui s’est donnée corps et âme dans cette arène pour le moins sanglante. Une autre brebis sacrifiée...

Finalement, Pierre-Olivier Grondin, découvert dans l’inoubliable et énigmatique VIANDE de Maxime Robin puis dans HAMLET et LES FOURBERIES DE SCAPIN, offre une solide interprétation dont celle de l’architecte Proulx, un rôle qui je l’espère lui en apportera d’autres tout aussi providentiels. N'ayant pas trouvé de photo tirée de la pièce, on peut l'apercevoir dans l'extrait de Radio-Canada ci-dessous. Il joue l'un des merveilleux fous de l'asile de Charenton. Un bijou !  




Les superbes photos de la pièce sont celles de Stéphane Bourgeois.

***

QUILLS m’a ramenée à MADAME DE SADE, une pièce présentée au Trident en mars 2012. Écrite par Yukio Mishima, Sade y était crûment revisité par ses femmes via la mise en scène de Martine Beaulne. Mes impressions:



***

Anecdote no. 1:  le soir de la première, un homme dans la soixantaine, assis dans le milieu de la cinquième rangée, a perdu connaissance lorsque le marquis y perd…sa première plume. Quelques jours plus tard, probablement assise à la même place que lui, ou tout près, (je siège à l’E-5), j’ai entendu quelques spectatrices émettre quelques bruits de répulsion et d’étonnement. Puis, un boom dans mon cœur surpris par cette scène disons-le saisissante. Apparemment que le malaise du spectateur n’y était aucunement lié. Mais permettez-moi d’en douter un peu…;-)

Anecdote no. 2: En lisant sur la vie de Sade, j'appris qu'un certain Jacques-André Langlois, son valet, était également son complice du vice lors de certaines parties intimes. Qui sait ? J’ai peut-être un lien quelconque de parenté avec ce Langlois-là...;-)






Moulage du crâne du Marquis de Sade


En furetant sur Youtube, découvert la chanson MARQUIS DE SADE de Syrano, un auteur compositeur interprète français qui ma foi ne ferait pas honte à ce cher Donatien. Il y mentionne le nom de Magnota (!!!), comme quoi ce Canadien qui a démembré un Chinois à Montréal défigure à jamais la mappemonde du vice international ! Syrano, une autre belle découverte.



Appelle-moi Magnota, 
mes textes te ligotent
Te trépanent et ça m’excite 
quand ton cerveau mijote
Le couteau dans la plaie, 
mon grain de sel juste après, 
du son dans le sang
Qu’on leur couse les lèvres, 
le silence est rêve sombre 
et indécent





Paroles














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