dimanche 19 mars 2017

À TOI, POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU: la maudite machine

Photo: Pierre-Marc Laliberté


« On est juste des p’tits engrenages dans une grande roue… Pis on a peur de se révolter parce qu’on pense qu’on est trop p’tits… » (Léopold)

« Tu m'as faite tellement mal! J'arais voulu hurler, mais ma mère m'avait dit de serrer les dents! […] Si c'est ça, le sexe, que j'me disais, pus jamais! Jamais! Jamais! » (Marie-Louise)

Michel Tremblay

Si tous les pognés
Dans leur p'tite misère
Se disaient: "Calvaire !
Y est temps d'arrêter"
Ça irait p't'être mieux

OCTOBRE


Jeudi après-midi, presque treize heures, lendemain de grosse bordée de neige, le THÉÂTRE DE LA BORDÉE accueille des élèves pour la représentation d’À TOI, POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU. Quelques spectateurs « un peu plus plus âgés » au balcon, on espère que la « séance » sera tranquille. Le présentateur demande gentiment que l’on ferme tous les appareils et il insiste sur le fait que ce sera une belle occasion de quitter son écran pendant une heure et vingt-cinq…


La scène est occupée par quatre personnages, morts et vifs. Un père et une mère, Léopold et Marie-Louise, qui traînent encore leurs grosses casseroles dans la tête de l'une de leurs deux belles grandes filles, Carmen et Manon. Deux sœurs différentes mais semblables. L’une chante l’autre pas. Carmen chante au présent, Manon prie au passé. Brillant chassé-croisé de dialogues entre les orphelines et leurs parents, qui sont sur le bord d’une débarque monument national, juste avant la révolte tranquille, leurs oreillers pas trop collés dans le lit double de la chambre à accoucher d’un quotidien morne et mal organisé. Et l’on tourne en rond sur ce plateau, non pas rempli de fromages fins et de raisins africains mais de boîtes de conserves le jour et de bouteilles de bière le soir.


Alexandre Fecteau s’est à nouveau attaqué à un gros morceau de la littérature québécoise. En mettant en scène cette tragédie qui ne manque surtout pas de rigueur et d’humanité, il vient nous confirmer son indéniable talent de peintre du monde ordinaire. C’est toujours une joie d’assister à ses créations, et la hâte de cheminer le nouveau parcours d’OÙ TU VAS QUAND TU DORS EN MARCHANT ? en mai prochain sur la colline parlementaire ajoutera, j’en suis certaine, une étoile à sa constellation de succès.


Though I'm rather blind, 
love is a fair resign

Le temps d’une chasse d’eau pour se dire et crier les pires affaires qui soient quand la fin du couple fait craindre l’avalanche fatale qui provoquera sa chute mortelle. Le père, violent avec son petit dernier (absent sur scène mais que l’on imagine très bien) vit une écoeurite aiguë de son travail d’usine qui le tue à petit feu depuis quelques vingt-sept ans. Pour compenser sa misère, il se fait remplir la table de bières le vendredi soir, la vide au complet, puis la fait à nouveau remplir pour avoir le choix de ne pas la boire juste « pour se sentir riche ». 

Du crunchy !

La mère, enceinte de son quatrième, qui tombe à bras raccourcis sur celui qui l’a pratiquement violée pour faire le sexe qui est pour elle depuis le début une exaspération, un mal, une blessure. Leurs filles, qui ont grandi dans cette atmosphère de querelles familiales brisures d’âmes, sont aux antipodes pour ce qui est de leur mode de vie. Leur roue de fortune ne s’arrête pas toujours sur le bon numéro…

Y’en a qui ont toutte 
pis touttes les autre y’ont rien. 
CHANGE-MOÉ ÇA.

Le texte de Michel Tremblay nous rentre dedans comme un couteau dans patate et ça, ce n’est pas rien. Parce que la douleur est aussi vive et que ça saigne aussi abondamment que depuis le jour de sa création en1971 au Théâtre de Quat’sous. Et l’on se rend compte à quel point l’un de nos plus émérites dramaturges québécois a su nous ouvrir grandes les portes des maisons de ces familles qui tourbillonnent en gang de tu-seuls sur un Plateau de tournage en rond…


D'après Léopold, le bœuf haché à 69 cents en 1961, c'était trop cher. Marie-Louise aurait dû attendre qu'il soit en spécial à 49 cents...Pour vérifier, je suis tombée sur cette page web:

Les Canadiens plus âgés qui ont connu la Grande Crise se rappellent avoir travaillé pour un dollar par jour et avoir payé le bifteck de surlonge 25 cents la livre (454 grammes). Voici un aperçu de l'évolution des salaires et des prix depuis cette époque. En 1935, le revenu personnel moyen était de 313 $ par année. Le lait coûtait 10 cents la pinte (0,95 litre) et une douzaine d’œufs, 31 cents. Une boîte de tomates se vendait 10 cents.Vingt-cinq ans plus tard, en 1960, le revenu personnel moyen était de 1 672 $ par année. Le lait coûtait 24 cents la pinte et une douzaine d’œufs, 55 cents. La boîte de tomates coûtait 27 cents. En 1985, le revenu moyen atteignait 15 903 $ par année. Le lait partiellement écrémé coûtait 98 cents le litre et les œufs, 1,37 $ la douzaine. Le prix de détail moyen des tomates en conserve était à 1,30 $. En 2008, le revenu individuel moyen était de 37 700$ par année. Le lait partiellement écrémé coûtait 1,99 $ le litre et les œufs, 2,57 $ la douzaine. Le prix de détail moyen des tomates en conserve  était resté à 1,30 $.



En Marie-Louise, époustouflante Èva Daigle, tant à l’aise avec du Tremblay, on reconnaît plusieurs de nos mères, tantes, sœurs, grands-mères, amies, qui ont un jour aimé un homme avenant et prévenant les premiers temps puis qui se sont laissés happer par la maudite machine qui les a fait se cloîtrer entre les draps souillés par la vomissure des overdoses de bière de celui qui les prenaient de force. Marie-Louise, une femme qui ne se serait peut-être jamais mariée, qui serait restée vieille fille, qui aurait tricoté pour les enfants qu’elle n’aurait jamais eu, ou qui se serait peut-être fait avorter n’eut été de la « très sainte mère église », qui aurait dû tout quitter pour aller se refaire une beauté...moins désespérée...


En Léopold, magnifique et si intense Hugues Frenette, qui ne cessera jamais de me surprendre par tous les différents registres avec lesquels il nous compose ces personnages graves ou drôles mais surtout si attachants, on reconnaît plusieurs de nos pères, oncles, frères, grands-pères, amis. C’est à peu de choses près le même scénario que celui de sa Marie-Lou: la solitude de la taverne comme celle de la cuisine s’entasse dans un recoin poussiéreux d’un cœur qui manque parfois d’oxygène...et de rêves de toast pas brûlées des deux bords…


En Carmen, énergique et si talentueuse Catherine Simard, qui nous en met encore plein la tête et le  cœur, on participe en direct à l’émancipation d’une femme qui passe en mode rébellion face à toutes les autorités : parentales, sacerdotales et « politicales ». Elle nous chante sa liberté de country girl, son affranchissement face à la maudite machine et c’est ce qui apporte le côté plus positif de toute cette histoire de chaos familial. Elle mérite un opéra…et des fleurs…et cette chanson made in 1961 de Ricky Nelson

I saw your lips I heard your voice
Believe me I just had no choice
Wild horses couldn't make me stay away
I thought about a moonlit night
My arms about good an' tight
That's all I had to see for me to say


En Manon, sublime et poignante Marianne Marceau, empêtrée dans son passé et la religion, on voit l’image sainte de sa mère disparue trop tôt. Et malgré le fait que l’empreinte de sa mort lui fasse encore très mal, on sent qu’elle voudrait bien s’en sortir mais c’est encore très difficile pour elle de pardonner à son paternel. Elle a encore beaucoup de ressentiment envers le fantôme hostile qu’il est devenu et qui l’embaume de nuit comme de jour des effluves néfastes de son intempérance. On voudrait  tant qu’elle se soigne, ou encore qu’elle se sauve de cette mortification spirituelle qui l’empêche de s’échapper d’un monde trop lourd pour ses fragiles épaules…



Un jeune homme à la fin de la représentation : Ça ne fait pas de sens. Son commentaire m’a laissé interrogative. Je me suis demandé : et si ses parents étaient en instance de divorce en ce moment ? Et si son père buvait comme Léopold et le battait ? Et si sa sœur comme Carmen chantait dans des bars ? Et si son autre sœur comme Manon passait son temps à écouter aux portes ? Et si..et si..et si tout simplement il n’avait pas tout compris ? Une chose est sûre : les étudiants du collège de Lévis et de l'école secondaire La Courvilloise ont été d’un calme olympien et donc d’un respect exemplaire pour les comédiens, c’était tout à leur honneur. J’ai d’ailleurs félicité l’une des coordonnatrices de cette sortie scolaire. Je suis persuadée que parmi eux il y en aura au moins un ou une qui brûlera les planches de l’un de nos théâtres pour devenir les prochains Hugues Frenette, Èva Daigle, Catherine Simard et Marianne Marceau.








Dans le hall de La Bordée
Photos: L.Langlois
le 16 mars 2017
Photos du spectacle: 
Pierre-Marc Laliberté



Winding paths 
through tables and glass
First fall was new
Now watch the summer pass
So close to you.






AFTER THE STORM
Photo: L.Langlois
le 16 mars 2017

3 commentaires:

  1. via facebook le 20 mars 2017:

    Encore une fois, de si beaux mots. Nous avons le coeur gros de laisser cette belle production et aujourd'hui, vous me rappelez exactement pourquoi. Merci Louise. Et c'est drôle. Vous vous dites qu' un jour un élève de Lévis ou de la Courvilloise sera peut-être sur les planches à notre place. Bien il y a environ 12 ans, c'est moi qui était en sortie scolaire avec mon école la Courvilloise et qui venait assister à une pièce québécoise pour la première fois, Les muses orphelines de Michel-Marc Bouchard. Et je me rappelle très bien m'être dit qu' un jour, ce serait moi sur les planches. 🙂 Ça me touche beaucoup aujourd'hui de repenser à ça. Merci beaucoup Louise. Merci et à bientôt j'espère. Xx

    Catherine Simard

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  2. Heureuse que ma "participation" à cette pièce nécessaire t'aie plu. Vraiment, le hasard des mots qui fait que j'aurai un peu deviné ton parcours pour en arriver à cette carrière qui s'annonce TRÈS prometteuse. En attendant, je te dis à la prochaine chicane 😉

    Louise xx

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