samedi 23 mars 2019

BLACKBIRD : les ombres du cœur


 

Blackbird, c’est l’ombre noire de ce grand oiseau qui les surplombe sans trêve : la culpabilité d’avoir pris du plaisir à une relation qui a gâché complètement leurs deux vies. « Nevermore », chantait cruellement le corbeau d’Edgar Allan Poe…

Émile Vigneault



" L’autre petite fille autrement dit, la question lancinante qui a miné Una durant quinze ans et à laquelle seul Ray/Peter peut répondre, est celle-ci : a-t-il aimé la femme en elle ou n’a-t-il été attiré que par la petite fille ? Sur les deux scènes, on lui répond, clairement. « J’ai jamais aimé quelqu’un de cet âge-là après toi. Juste toi », affirme la voix chaude et sensible de Gabriel Arcand, auquel fait écho, avec une tendresse bourrue, Maurice Bénichou : « Tu as été la seule. Juste toi. » Mais la finale est saisissante et vient remettre en question ces démentis auxquels les spectateurs, comme Una elle-même, ne demandaient qu’à croire. Au moment où, à moitié dévêtus, ils semblaient sur le point de faire l’amour, dans le désir et la tendresse, sur la grande scène du TNM et dans le cadre intime du Prospero, une petite fille surgit, comme venue de nulle part. Qu’est-elle pour Ray, cette enfant visiblement impubère, que ressent-il pour elle ? Une affection normale et paternelle, comme son comportement à elle semble l’indiquer ? Ou n’est-ce pas plutôt l’indice de sa perversion d’homme attirée par la chair fraîche ? Bref, qu’il est pédophile et qu’il s’apprête à revivre, qu’il a peut-être même déjà revécu avec elle, une histoire d’amour illicite ? Et Una, pourquoi s’enfuit-elle ? Par compassion pour l’enfant, son double, ou parce qu’elle est, une fois de plus, trahie ? Dans la mise en scène de Téo Spychalski, Arcand semble si malheureux et si dépourvu qu’on veut croire qu’il est sincère (« Non, j’pourrais jamais. Non, j’ferais jamais ça. Crois-moi ») et qu’il a pour la petite une affection sans arrière-pensée. Dans la version lyonnaise, on est saisi d’un doute affreux et on comprend Una de partir horrifiée. Dans les deux cas, le spectateur restera sans réponse, mais au-delà du drame ponctuel, cette petite fille qui revient en chantant sur le plateau ravagé du Prospero, n’est-elle pas la preuve innocente que l’opprobre suit toujours les amours interdites, qu’il n’y a pas de rachat possible pour qui enfreint les normes de la société ?"



UP ROBE
Le Seuil des Froidures
Illustration: L.Langlois


DOWN LET ME DOWN

I'm in love for the first time

Don't you know it's gonna last

It's a love that lasts forever

It's a love that had no past


De retour chez PREMIER ACTE, en compagnie d’A., avec qui c’est toujours un plaisir de se faire raconter des histoires à ne pas dormir assis pour cette fois-ci faire la connaissance de deux magnifiques oiseaux rares:

Una et Ray

Deux passionnés
Deux abandonnés
Deux émigrés
Deux «  inséparés »


Une nuit, l’ultime, aura suffi à cette histoire amoureuse inhabituelle pour que deux oiseaux noirs reprennent un envol inattendu dans un ciel à leur démesure. Imbibés du flot incessant de leurs sentences, emmurés dans un huis-clos intriguant, les spectateurs, tels des statues de sel, ont convergé dans leur monde aussi incompréhensible que compatible.


Réjean Vallée, Ray/Peter, celui qu’on pointe du doigt, nous a offert toute une performance, à la hauteur de ce texte incisif de l’Écossais David Harrower. Ses dernières prestations, surtout celles de chez Premier Acte, nous l’ont révélé sous un autre jour que les rôles plus classiques auxquels il est souvent sollicité dans les divers théâtres de la Cité. C’est tout à son honneur. Les jeunes gens de théâtre sont chanceux d’avoir à leurs côtés un comédien aussi talentueux. Ses connaissances doivent agréablement les servir afin qu’ils atteignent de cette aisance sur scène.


En tout cas, le sublime duo qu’il a formé avec Gabrielle Ferron ce soir, nous en a amplement donné la preuve. Quelle finesse et quel aplomb dans le jeu élégant de cette finissante de 2016 ! L’APEX, qu’elle a cofondé avec Lauren Hartley et dont c’était la première production, n’a pas fini de nous impressionner, qu’on se le tienne pour dit. Quand à Olivier Lépine, qui décidément n'en finit plus de nous impressionner cette année, disons qu'il a encore une fois trouvé la bonne clef pour ouvrir cette serrure mystérieuse qu'est la mise en scène. Nous serons gâtés à nouveau puisqu'il doit récidiver dans quelques semaines avec EMBARGO, un texte de Lauren Hartley. Très hâte de voir ça.

David Harrower

Cet incubateur miraculeux de talents qu'est Premier Acte ouvre ainsi les portes des plus grands théâtres aux jeunes créateurs de Québec et d'ailleurs. Je n'ai qu'à penser au mirobolant ANTIGONE, que j'ai vu le samedi 23 mars, pour confirmer ce que je viens d'écrire plus haut. Je développerai davantage sur cette pièce dans mon prochain texte mais disons que le metteur en scène Olivier Arteau, en compagnie de ses trois remanieuses, Pascale Renaud-Hébert, Rébecca Deraspe et Annick Lefebvre, nous a livré tout un combat de résistance dans le ring du Trident.



BLACKBIRD

Production: L'Apex
Texte: David Harrower
Traduction: Zabou Breitman et Léa Drucker
Mise en scène: Olivier Lépine
Concepteurs: Marianne Lebel, Olivier Lépine, David Mendoza Hélaine
Distribution: Gabrielle Ferron et Réjean Vallée
Photos: Cath Langlois





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