samedi 11 décembre 2010

LES TROIS SOEURS DE WAJDI MOUAWAD: La part des anges

RÊVER LE NOUVEAU MONDE
Michel Goulet
GARE DU PALAIS, QUÉBEC

Photo: L.L.


Le monde ne vous attend plus/ il a pris le large/
Le monde ne vous entend plus/ l'avenir lui parle

GASTON MIRON
1928-1996


Si j’en crois mon espérance.
Non, si j’en crois mon espérance,
J'attends un meilleur avenir.
Je serai malgré la distance
Près de vous par le souvenir.
Errant sur un autre rivage,
De loin je vous suivrai,
Et sur vous si grondait l’orage,
Rappelez-moi, je reviendrai.

Mikhaïl Lermontov

Les âmes vives….
DU PAREIL AU MÊME  
Jeudi soir dernier.
GTQ, salle Octave-Crémazie
Rangée E, siège 22.
La dernière pièce de la mi-saison
LES TROIS SOEURS, d’Anton Tchekhov
Mise en scène de Wajdi Mouawad

 

Du pareil au même ? Pas vraiment...

Extrait:

ANDREI: Ah! Où est-il, où est-il parti, tout mon passé, quand j'étais jeune, gai, intelligent, quand mes rêves et mes pensées touchaient à tout ce qui est beau et élevé, quand mon présent et mon avenir étaient éclairés d'es­poir? Pourquoi, à peine commence-t-on à vivre, est-on déjà ennuyeux, terne, inintéressant, paresseux, indiffé­rent, bon à rien et malheureux, pourquoi... Cette ville existe depuis deux cents ans, il y a cent mille habitants, et pas un seul qui ne soit pareil aux autres, pas un enthousiaste, ni dans le passé, ni dans le présent, pas un savant, pas un artiste, personne qui se distingue un tant soit peu, un homme qui susciterait l'envie ou le désir passionné de l'imiter... Chacun ne fait que manger, boire, dormir et puis, il meurt... et d'autres naissent, et à leur tour, ils ne font que manger, boire, dormir et, pour ne pas s'abrutir d'ennui, ils agrémentent leur vie de ragots dégoûtants, de vodka, de cartes, de chicane et les femmes trompent leurs maris, et les maris font hypocritement semblant de ne rien voir, de ne rien entendre, et cette influence répugnante et irrésistible pèse sur les enfants, étouffe en eux l'étincelle divine et ils deviennent, à leur tour, des cadavres semblables les uns aux autres et aussi pitoyables que leurs pères et mères.


Anne-Marie Olivier, Marie Gignac, Benoît Gouin,
Hugues Frenette et Richard Thériault

Photo: Louise Leblanc



La Part des anges (les messagers de Dieu) est la partie du volume d'un alcool qui s'évapore quand celui-ci est mis en fût pour vieillir.

(wikipedia)

Marie Gignac, MACHA, la pianiste, l’amoureuse, la femme qui triche, sa résignation…Lise Castonguay, OLGA, la directrice de la douceur, la beauté grisante de son cœur protecteur...Anne-Marie Olivier, IRINA, la plus jeune des trois, la très travaillante, la ponceuse, la porteuse de portes closes, la fougue de la jeunesse, l’espoir…le feu…Gill Champagne, TCHÉBOUTYKINE, le peintre, le docteur, l’alcoolique, sur les murs de SA révolution: le vert été, le blanc hiver, le rouge feu…et le jaune sur sa tête…la bile de sa foi...Linda Laplante, NATACHA, la belle-sœur gouvernante de ce petit peuple que constitue la famille Prozorov; avec son landau, ses promenades, ses fourrures et…sa belle ceinture ! Benoit Gouin, VERCHININE, un père malheureux auprès de sa blonde; un appel au milieu de l'allée, presque à mes côtés, à l’autre bout de la ligne, entre les bras de Macha et les cul-sec de vodka, sa philosophie d'indéraciné…Vincent Champoux, en KOULYGUINE, mari trompé en pied-de-bas, reniflant l'antre de ses orteils, niais comme pas un mais bon, et si gentil; et en FÉRAPONTE, sourd comme un pot, colportant des nouvelles qu’on écoute à peine…Un homme dans l’Assistance, EL SPECTATOR, choisi comme par hasard, prenant SA place aisément sur la scène, un participant gagnant et privilégié de cette distribution hors pair...Jean-Jacqui Boutet, ANDRÉÏ S. PROZOROV, le frère de sang, le père de ce futur (foutu ?) espoir; devant le grand rideau bleu, se promenant parmi la foule, l’interrogeant, la subjuguant…et son violon sous la pluie...Hugues Frenette, TOUSENBACH, baron-ange lumineux, amoureux d’Irina, beau comme un poisson dans...le...cognac (V.S.O.P. svp ! ou X.O.); drôle et touchant, toujours aussi juste et bon, mais tellement...laid ;-)...Richard Thériault, SALIONI, éclatant géant aux longs cheveux, fantasque critiquant le tout pour le tout, bravant l'ami comme l'ennemi... Paule Savard, ANFISSA, la Nounou au samovar, au balai magique et à la chainsaw, la repoussée de Natacha, la protégée d’OlgaMichèle Motard, LA CHANTEUSE, l’étonnante et saisissante beauté de son chant prenant, la grâce de la finale...

***

C’est l’âme russe de Tchekhov en celle de Mouawad qui s’est promenée en nous jeudi soir dernier…L’âme souveraine et équitable de ce grand metteur en scène qui n’en finira jamais de nous émouvoir, éblouir et surprendre. L’ovation que le public de Québec lui a réservée valait à elle seule le prix du billet, deux heures ¾ de cette splendeur théâtrale envoûtante et mémorable.

Dans la luminosité de l'ombre, le blanc des bancs et celui des portes. Depuis les carreaux de la fenêtre, en haut des notes du piano, un peignoir caché. Oublié…Des sacs de papier brun sur les têtes (une pensée furtive pour Christian Lapointe) des silences délinquants, des bruits de bottes...Du sans pareil au même…Du sang pareil…aux gènes. Et la musique, le chant de la sirène...MICHÈLE. La La la humaine danse en ligne, le BUNNY HOP des mouvements fous, les pas perdus dans la forêt des déploiements, des gestes lents, des arrangements pré-funéraires, des surprenances... Et des trous dans les murs. De la D-Day de grande défonce…Du pareil au même…? Oui, sans aucun doute, cher Docteur Tchéboutykine...Et de la neige en plus, en dedans comme en dehors, au parterre...Du froid, de la joie et beaucoup de...travail...

Москва ! Москва !

À la fin, Wajdi Mouawad est apparu tel un ange au tendre milieu de cette troupe sensationnelle; une troupe formée de comédiens tous égaux à eux-mêmes. M. Mouawad m'a semblé être comblé par son...travail. Nous aussi, bien évidemment. Et maintenant, à eux le Brésil !

***

Petit échange " commercial " sur facebook avec Éric Simard:



Éric Simard: Je vivrai ma cinquième expérience Wajdi de l'année ce soir avec Les Trois soeurs... (six, si je compte le film Incendies)

Louise Langlois: Et la septième en mars ? ;-) J'étais rangée E, siège 22 hier: au 7ème ciel ! on a touché à la grâce et la perfection. Je m'en vais écrire mes impressions aux Envapements. Bonne descente sur terre.

jeudi, 17:41

Éric Simard: C'est fou avoir une telle signature au niveau de la mise en scène. Hier, je n'ai pas vu un Tchekhov, j'ai vu un Wajdi.

Louise Langlois: C'est en plein ce dont je me suis rendue compte vers la trentième minute..de JEU! J'ai eu l'impression de m'être retrouvée en plein incendie, au bord du littoral, au milieu de cette forêt désenchantée, mais surtout, surtout dans ce vaste pays qu'est Wajdi Mouawad...(à suivre)

vendredi, 08:49

CONCEPTION  

Texte Anton Tchekov 
Traduction Anne-Catherine Lebeau et Amélie Brault 
Mise en scène Wajdi Mouawad
Assistance à la mise en scène: Hélène Rheault 
Scénographie et costumes Isabelle Larivière 
Éclairages Éric Champoux 
Musique Robert Caux 



1 commentaire:

  1. Hugues Frenette
    12 décembre 2010, à 12:33
    Sujet: Les trois soeurs
    C'est toujours un plaisir de lire tes impressions et de percevoir par tes mots, tes images et tes citations, ce que tu as ressenti quand tu étais parmi nous. Bon temps des fêtes !

    Louise Langlois
    Merci de nous emmener aussi près de l'Humanité. De belles fêtes à vous aussi.

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