jeudi 7 avril 2016

ARCHITECTURE DU PRINTEMPS: Vincent et frères

L’éveil jaune en toile de fond



J’ai passé 9 ans moi-même dans un asile d’aliénés et je n’ai jamais eu l’obsession du suicide, mais je sais que chaque conversation avec un psychiatre, le matin, à l’heure de la visite, me donnait l’envie de me pendre, sentant que je ne pourrais pas l’égorger.

Antonin Artaud
VAN GOGH, LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ





De tout ce qu’il fait se dégage quelque chose de doux, de touchant, d’étonnant. Les gens ne le comprennent pas et il souffre de ne rien vendre comme tout autre véritable poète.

Paul Gauguin
Fin du mois de mai 
Arles 1888


LA MAISON JAUNE




Q: Quel serait votre fantasme théâtral ?

R: Dans ma vie, j’aimerais mettre en scène Les Possédés de Dostoïevski…En fait, tout de Dostoïevski ! Il y aurait aussi Titus Andronicus de Shakespeare. Un autre fantasme serait de disposer d’un lieu et d’une équipe pour avoir la liberté qu’un Ostermeier a pu avoir à Berlin, par exemple. Avoir un espace de création que tu peux habiter. J’aimerais aussi qu’on puisse trouver un moyen de rendre la spontanéité possible dans les saisons théâtrales. Je ne sais pas si ça se peut…Le processus de subventions et la construction des programmations se font tellement d’avance. Tu peux tomber sur un texte hallucinant et te dire qu’il faut le monter maintenant. Finalement, ça se peut, mais ça va être au printemps 2018. Et si tu t’engages dessus, tu espères qu’il n’y aura rien avant le printemps de 2018 qui va t’allumer encore plus…

Olivier Lépine à Geneviève Bouchard
SOLO D’ÉQUIPE 
Le Soleil





Il n’est pas ordinaire de voir un homme, avec, dans le ventre, le coup de fusil qui le tua, fourrer sur une toile des corbeaux noirs avec au-dessous une espèce de plaine livide peut-être, vide en tout cas, où la couleur lie-de-vin de la terre s’affronte éperdument avec le jaune sale des blés.

Mais nul autre peintre que van Gogh n’aura su comme lui trouver, pour peindre ses corbeaux, ce noir de truffes, ce noir « de gueuleton riche » et en même temps comme excrémentiel des ailes des corbeaux surpris par la lueur descendante du soir.





Et de quoi en bas se plaint la terre sous les ailes des corbeaux fastes, fastes pour le seul van Gogh sans doute et, d’autre part, fastueux augure d’un mal qui, lui, ne le touchera plus ?

Car nul jusque-là n’avait comme lui fait de la terre ce linge sale, tordu de vin et de sang trempé.

Antonin Artaud
VAN GOGH, LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ






Le goût de respirer,
de vivre, de semer; 
de rencontrer, 
et de raconter.
Puis de mourir.

elquidam



Photo: Jules Antoine (1863-1948) 

De gauche à droite:
Arnold Koning, Émile Bernard,
Vincent van Gogh, André Antoine,
Félix Jobbé DuvalPaul Gauguin.
Paris 
dans la cour de l’Auberge Blanche
vers décembre 1887



Paul  Gauguin
AVANT ET APRÈS
1903


Il y a dans tout dément un génie incompris dont l’idée qui luisait dans sa tête fit peur, et qui n’a pu trouver que dans le délire une ISSUE aux étranglements que lui avait préparés la vie.

Antonin Artaud
VAN GOGH, LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ





L’énergie débordante et contagieuse d’Olivier Lépine a quelque chose de curatif en ce printemps parfois difficile pour nos érables à sucre, quelque chose de pleinement lumineux, quelque chose de mieux qu'on l'aurait cru, comme...la plus belle saison de sa vie...





...du soleil vangogue, des étoiles de nuit, starry starry night, des tournesols plein les yeux, des fleurs multicolores sous les planches, un voyage au pays des grands Peintres...et de la violence, et de la police avec une voix forte qui se fait entendre au milieu de la rue qui est ENCORE à nous...pour le moment...






...et des carrés rouges peints sur le JAUNE des bouteilles de la fée verte, avec de la peinture sur le bout du cœur et des doigts...un écran géant, une robe d’été fleurie, une boîte de carton, une fille envolée...et les pierres tombales des deux frères écorchés vifs...et la langue, française, québécoise, anglaise, plus celle avec l’accent néerlandais d'un certain Vim...et le pot aux roses qui les délie dans toute la fragilité des pétales d'un champs de tulipes…




...et la chaleureuse beauté de l’homme, avec ses cheveux, sa barbe, ses mains, son regard, tantôt fou tantôt drôle, son amertume, sa solitude, sa fuite, sa frénésie, sa passion, son calme, sa sérénité, son pouvoir de respirer à pleins poumons le parfum d’un printemps architectural dans un décor ingénieux de par sa pure simplicité...



« Tu diras
Tu diras que c'est l'instinct qui t'a
Mené jusqu'ici
L'imprudence comme elle se doit
DE TEMPS EN TEMPS »

AVEC PAS D'CASQUE
Vidéo: Jérémie Battaglia



Cette remarquable mise en scène m'a ramenée tout croche en cet inoubliable printemps érable de 2012 et à ce superbe tournage de Jérémie Battaglia sur la musique et les paroles d'AVEC PAS D'CASQUE. Comment ne pas se souvenir de toutes ces citadines et somptueuses parades d'humains sortis de leurs salons et de leurs cuisines pour jouer ENSEMBLE dans cette symphonie de poêles à combustion lente ? 






C'est tout ça, et encore plus, pour celui qui a magimistralement orchestré cette éclairante et instructive ARCHITECTURE DU PRINTEMPSOlivier Lépine, auteur, metteur en scène et interprète. Avec l’aide et le soutien de ses précieux collabos, il a réalisé son premier solo qui, je l’espère bien, ne sera pas son dernier. Chapeau (mou) donc pour l’homme aux trois chapeaux, qui nous avait tant éblouis avec ses percutants FEMME NON-RÉÉDUCABLE/ANNA P. et plus tôt avec l'immortel ROMÉO ET JULIETTE.

http://envapements.blogspot.ca/2014/04/anna-p-femme-non-re-educable-connais-tu.html

http://envapements.blogspot.ca/2011/02/romeo-et-juliette-who-were-they.html





Seul comme un chien, agile comme un écureuil, précis comme une horloge suisse, intense comme un incendie criminel, poétique comme un Morrison en transes, brillant comme un corbeau noir, nécessaire comme un mal, invitant comme un voyage...

Ses trois hommes en un: le Frère, le Fils et le Sain d’Esprit; Paul, le policier dans la trentaine qui, par un soir de révolte printanière, frappe la Coïncidence de plein fouet dans une rue agitée de Québec 2012. Vincent, qui le croise plus tard par un de ces beaux et grands hasards dans un bar open d’Amsterdam. Cette rencontre est due à l'autre Vincent, le peintre et dessinateur néerlandais au chapeau en poil de lapin, le Correspondant d'exception de son frère Théo, qui s’est tiré du paysage par un long jour d’orage intérieur de la fin juillet 1890, à l’âge de 37 ans... 








Un triangle infernal mais surtout cordial, dans lequel s'invitent des amis, des parents et l'ex, pour prendre de vos nouvelles défraîchies parce que vous vous êtes isolés volontairement à cause de la douleur de cette noble blessure amoureuse, de celles qui vous donnent l'impression d'en mourir un peu plus à chaque jour parce que she's so heavy, à moins qu'un certain Vim n'apparaisse à votre insu dans le portable pour vous ressusciter depuis le bulbe géant de ses lointains Pays-Bas...





De plus on ne se suicide pas tout seul.
Nul n’a jamais été seul pour naître.
Nul non plus n’est seul pour mourir.
Mais dans le cas de suicide, il faut une armée de mauvais êtres pour décider le corps au geste contre nature de se priver de sa propre vie.
Et je crois qu’il y a toujours quelqu’un d’autre à la minute de la mort extrême pour nous dépouiller de notre propre vie..
Ainsi donc, van Gogh s’est condamné, parce qu’il avait fini de vivre et, comme le laissent entrevoir ses lettres à son frère, parce que, devant la naissance d’un fils de son frère, il se sentait une bouche de trop à nourrir.

Antonin Artaud     
VAN GOGH, LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ



 VINCENT 
Starry starry night
Don McLEAN


Now I think I know
What you tried to say to me
And how you suffered for your sanity
And how you tried to set them free



« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer. »

Extrait des ŒUVRES d'Antonin Artaud


ARTAUD 
Ivry-sur-Seine
1947


Pour conclure ce long mais nécessaire commentaire, et après avoir savouré l'exaltant S'AIMER de Thomas Gionet-Lavigne, je dirais que ce fut un autre excellent solo, notre deuxième en 11 jours. PREMIER ACTE, sonde spatiale qui n’en finit plus de nous faire voyager à travers les âges de la Création et ce à chaque fois qu’on y dépose et nos pattes, et nos yeux et nos oreilles. En relisant l’interview qu’a accordée Olivier Lépine à Geneviève Bouchard dans le Soleil, je comprends mieux maintenant pourquoi il aime tant cet espace, épeurant des fois mais si réconfortant: il s'y joue là-dedans du profondément humain, de l’immensément NOUS, avec des aventures extrasensorielles remplies de vie et de mort, truffées de fantômes...et de quelques extraterrestres…;-)


 avec ce bel accent chantant de la Provence


Rien que peintre, van Gogh, et pas plus,
pas de philosophie, de mystique, de rite, de psychurgie * ou de liturgie, pas d’histoire, de littérature ou de poésie,
ses tournesols d’or bronzé sont peints: ils sont peints comme des tournesols et rien de plus, mais pour comprendre un tournesol en nature, il faut maintenant en revenir à van Gogh, de même que pour comprendre un orage en nature,
un ciel orageux,
une plaine en nature,
on ne pourra plus ne pas en revenir à van Gogh.

Antonin Artaud


Photo: L.Langlois
2 avril 2016
(acheté le lendemain de la pièce)
« On sèmera cet été »







ARCHITECTURE DU PRINTEMPS

TEXTE, MISE EN SCÈNE, 
CONCEPTION SCÉNOGRAPHIQUE 
et INTERPRÉTATION: Olivier Lépine
COLLABORATION: Annabelle Pelletier-Legros
Maxime Perron et Alexandra Royer
SCÉNOGRAPHIE: Julie Lévesque
LUMIÈRES: Philippe Lessard-Drolet
ENVIRONNEMENT SONORE: Josué Beaucage
Photos du spectacle: Cath Langlois



KEUKENHOF GARDENS



Van Gogh et Artaud

Comme des dieux, 
comme des hommes:
INSÉPARABLES
et IMMORTELS.

elquidam



P.S.: Je savais bien qu'un de ces jours des extraits de cette grosse brique que sont les ŒUVRES d'Artaud iraient se faire planter aux ENVAPEMENTS, mais ce que j'ignorais, c'est qu'ils le seraient grâce à cette ARCHITECTURE DU PRINTEMPS d'Olivier Lépine et au Peintre qui l'en a inspirée. Et quand je pense à cette affiche reproduction de l'AVENUE DES PEUPLIERS, que j'ai achetée il y a quelques 40 ans, je me dis que l'âme de Vincent habite toujours ici, sur l'un des murs beiges de mon salon...


Photo: L.Langlois
AVENUE DES PEUPLIERS
1884


Après la pièce, nous avons rencontré Max et sa Maman dans le stationnement; une autre belle et enrichissante conversation sur le Théâtre, celui qui nous réunis et avec qui nous passons à travers les jours gris et les nuits blanches de nos printemps parfois chahutés par les grands dérangements d'un hiver trop long rempli de deuils en tout genre.





Nous avons causé de nos prochaines premières, celles du 12 avril: Max, à La Bordée avec QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF ? et nous, au Périscope avec FENDRE LES LACS. Mais également du CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN, prochaine production des finissants du CONSERVATOIRE D'ART DRAMATIQUE DE QUÉBEC, qui sera dirigée depuis le 2 mai, Ô la grosse surprise du jour, par nul autre que Monsieur Jacques Leblanc, qui déménagera de la Basse-Ville à la Haute-Ville afin d'y déployer les ailes de son immense talent sur celles des jeunes gens qui nous éblouiront d'ici quelques années. 




C'est triste un peu de le voir quitter sa Bordée, qui fête cette année ses 40 ans, mais je suis persuadée que son ou sa successeur en sera un ou une tout(e) aussi doué (e) que lui. Bonne chance Monsieur le Directeur et merci pour ces 12 années de bonheur. Et comme pour faire une suite presque logique au spectacle auquel nous venions d'assister: un char de police qui patrouillait sur la rue de Salaberry...

Puis en rentrant, je lis cette nouvelle fraîche de la veille:




et puis celle-ci:







Un jour la peinture de van Gogh armée et de fièvre et de bonne santé, reviendra pour jeter en l’air la poussière d’un monde en cage que son cœur ne pouvait plus supporter.

Antonin Artaud
VAN GOGH, LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ








2 commentaires:

  1. via facebook le 9 avril 2016:

    Merci beaucoup.
    C'est très gentil cette avalanche de mot.
    Et rudement apprécié.
    Bonne fin de journée à vous !

    Olivier Lépine

    RépondreSupprimer
  2. via facebook le 9 avril 2016:

    Oui, et surtout un printemps un peu plus chaud ;-) Ravie de votre mot. Merci.

    Louise

    RépondreSupprimer