mardi 3 novembre 2009

Colombus avenue

Columbus Avenue à l'angle de Jack Kerouac : le café Vesuvio.
Au fond, la Transamerica Pyramid

Tous ces auteurs que nous pensons connaître de par leurs écritures et leurs paroles, en qui nous croyons parfois y reconnaître quelqu'un de semblable à nous, lecteurs de passage, eux qui nous offrent un pan de leur vie suspendue aux cordes de leur imaginaire, celui qui leur fait une belle grande tête déposée sur de frêles ou robustes épaules, eux qui ont de la peau noire et blanche par-dessus leurs os légers, souples et solides, qui nous jouent de leur musique infaillible, eux qui comme nous deviendront un jour de modestes ou funestes fantômes...Par admiration pour eux et pour Jacques Poulin, comme à un jeune auteur que je découvrirais enfin, et pour Jack Kerouac, qui n'en finit plus de boire et de mourir de la cirrhose...du coeur, voici un extrait choisi dans le vieux mais si confortable Volkswagen blues, roman québécois dans lequel on y croise certains spectres suspects...

***

Ils se hâtèrent de regagner la Volkswagen. L’homme s’installa au volant. Après avoir jeté un coup d’œil sur un plan de la ville, il décida de rouler un moment dans Bay Street, mais il tourna à droite et prit Columbus lorsqu’il vit un panneau signalant que le quartier de North Beach se trouvait dans cette direction. Le nom de North Beach évoquait pour lui des souvenirs liés aux beatniks et à Jack Kerouac.

On the road était un des livres que la Grande Sauterelle avait " empruntés " au cours du voyage parce qu’il était mentionné dans le dossier de police de Toronto. Elle l’avait trouvé en version française dans une bibliothèque de Kansas City; elle le connaissait déjà mais elle avait eu du plaisir à le relire. " Qui n’a pas relu n’a pas lu ", disait-elle. Pour sa part, l’homme avait préféré garder intact le souvenir de sa première lecture: il se souvenait d’un voyage ayant les allures d’une fête continuelle, qui était raconté dans un style puissant et enchevêtré comme les routes immenses de l’Amérique; alors il s’était contenté de relire la préface, dans laquelle il avait souligné cette phrase:

La route a remplacé l’ancienne " trail " des pionniers de la marche vers l’ouest; elle est le lien mystique qui rattache l’Américain à son continent, à ses compatriotes.

Ils virent tout de suite que North Beach était un quartier très spécial, alors ils abandonnèrent le vieux Volks sur le parking du Safeway, au coin de Chestnut, et ils mirent des chandails de laine pour aller à pied dans l’avenue Colombus. Même s’il avait grandi depuis le début du voyage, le chat noir acceptait encore de se balader dans le capuchon de la Grande Sauterelle; il avait trouvé une nouvelle position: au lieu de dormir en boule au fond du capuchon, il se tenait debout, les pattes et le menton appuyés sur l’épaule de la fille.

Ils passèrent devant un immeuble en briques rouges qui abritait la bibliothèque du quartier. Un peu plus loin, sur la gauche, il y avait un parc appelé Washington Square.
--- Ah oui, dit l’homme, Kerouac venait souvent par ici.

Il parlait comme si Jack Kerouac était une vieille connaissance; à la vérité, il n’avait lu que deux de ses livres et quelques articles sur lui dans des revues.

--- Une fois, il avait acheté un gallon de vin blanc, dit-il. Le vin qu’il préférait à cette époque était du tokay, une marque bon marché. Alors il s’est amené dans le parc avec sa petite cruche de tokay et il s’est mis à boire. Il s’est assis au pied d’un arbre et il a bu jusqu’à ce qu’il ne reste plus une goutte de vin, et ensuite il était complètement soûl et il s’est endormi dans l’herbe.


Washington Square était un parc ordinaire, un carré de verdure avec des arbres, des bancs, quelques monuments et un coin pour les enfants, mais tout à coup, avec la présence de Kerouac, tout était transformé. Des formes suspectes étaient allongées dans l’herbe. À cause du brouillard, l’herbe était certainement mouillée, et pourtant il y avait des vieux et des bums qui étaient étendus et dormaient, enveloppés dans des journaux ou des couvertures de toile. Le parc était envahi par les fantômes du passé.

La Grande Sauterelle réfléchissait.
Jacques Poulin
Extrait de Volkswagen blues

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