---ces détours et ces retours, ces prises et ces méprises, ces poursuites et ces non-suites, ces dédoublements et ces redoublements, ces détournements et ces retournements, comme une machine infernale et théâtrale jetant ses dés pipés dans l'espace québécois non encore advenu, ce qui me paraît être le sens même, dans sa déraison hystérique, du Beauchemin premier forgeant ses golems de fer tout au long de la Grande Tribu. Mais pourquoi tant de déréliction ? Peut-être qu'à relire encore ça se laissera comprendre par-devers tous les torts et tous les travers de l'écriture ? Ce besoin éperdu de croire malgré tout, quelle naïveté !
p.137
Victor-Lévy Beaulieu
LE CARNET DE L'ÉCRIVAIN FAUST
Éditions STANKÉ
Le tirage de cette édition, achevé le 19 janvier 1995, à Louiseville, sur les presses de l'Imprimerie Gagné, a été limité à cinq cents exemplaires, sur papier Suprême mat 120M. Le boîtier est la réalisation de Reliure Rive-Sud. La conception graphique et les illustrations sont l'oeuvre d'Olivier Lasser. Chacun des exemplaires contient un document autographe unique de l'auteur, sur papier Saint-Gilles, tous numérotés.
Il voulait faire venir la Rome nouvelle mais elle,
elle n'était pas
pour ça de venir de même,
dans une grosse Bible
toute
ramanchée
de travers
12 janvier 1995
144/500
144/500
Le mien, c'était le 144, l'extrait provenait de La Grande Tribu, Troisième débris. Ça se passait le 20 juin 1995, il était là, à la librairie du Beau-Port (devenue plus tard la Librairie Morency). Je crois qu'il n'y avait qu'un seul exemplaire de ce livre édition de luxe limitée; il se détaillait 75$. Ce serait donc mon deuxième VLB et non le moindre.
J'ai bien du le lire au moins trois fois au complet (217 pages), et je ne compte plus les fois où je l'ai simplement pris pour le feuilletter, le sentir, le toucher; il est rempli de surlignage, du bleu, du jaune, du noir, pas de plomb dans celui-là, la mine ne glisserait pas comme il faut sur le papier Suprême mat 120M...
Des couleurs, des odeurs, des mots, imbibés d'alcool, qui m'ont aidé à poursuivre son oeuvre. Il y a là des passages que je qualifierais de majeurs, cette grande connaissance des autres auteurs, parce que Victor-Lévy Beaulieu est je crois l'un des plus grands lecteurs que le Québec ait connu. Sa bibliothèque personnelle en fait foi. Il suffit simplement de prendre ce livre sur soi, d'y jeter un regard direct, ou oblique, c'est selon l'envie de lire du lecteur, pour comprendre comment l'oeuvre s'est créée...
La Grande Tribu en était à sa septième version de 1000 pages chacune, tout ne s'y trouvait pas encore. L'alcool coulait à flot entre la Boisbouscache et le Fleuve, et l'Hôtel Canada...les filles sauvages, le petit chien malcomm Hudd, et la femme rare...L'oncle Phil qui entrait et sortait du paysage, la Baleine Mère, le Grand Venable, la polio, les salons du livre, les chevaux, Louis David Riel, Jean-Louis Millette, Aurise, la Mer océane, l'homme cheval, Elvis, la Bête Nyctalope, la Boisbouscache, St-Jean-de-Dieu, Méphistophélès, l'Héritage...Et les finances domestiques.
Des notes, des mots sur son écriture et sur celle des autres: Ferron, Dickens, Hugo, Ducharme, Joyce, Aquin, Beckett, Kérouac, Miller, Proust, Zola, Thériault, Faulkner, Hénault, Cocteau, Pilon, Basile, Borges, Blais, Atwood, Jabès, Sartre, Lemelin, Prévert et plusieurs autres qui ont fait de lui ce lecteur on ne peut plus dévorant...
Des endroits où il a vécu: Montréal-Nord, Sainte-Emélie-de-l'Énergie, Terrebonne, Lorraine, Outremont, Trois-Pistoles, comme si on y était, pour avoir envie d'aller le voir, chez lui, dans son coin du ciel bleu, dans le Bas du Saint-Laurent...Un tour du monde en l'homme et son coeur, pour s'assoiffer de ses souvenirs de lectures, pour en apprendre toujours davantage sur le cheminement de SA création, pour le définir comme le plus beau monument de la Littérature. C'est après la première lecture de ce Carnet rempli de déchirures que, comme le démon de la chanson, j'ai fini par embarquer dans SA voiture...
Jacques Ferron est mort hier matin avec la barre du jour (à six heures trente). Comme je l'aimais Jacques Ferron, et par après comme c'est terrrible de ne pas avoir su l'aimer totalement !
page 205
à-Dieu vat !
Photos: L.L.
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