dimanche 21 novembre 2010

KLINIKEN (CRISES): Le parfum de l'abandon

E.B.M. Incendie
Novembre 2010


POST-IT




Un matin, Luc se leva avec l’intention de se mortifier pour prouver que le corps n’était rien d’important et que l’esprit pouvait s’élever au-dessus de la douleur humaine. Il mit le crochet à la porte de sa chambre et décida qu’il ne mangerait plus jamais. Il trouvait que la vie terrestre était absurde, qu’il était insensé d’avoir à mâcher et à avaler continuellement des êtres vivants pour se remplir le ventre et se maintenir en vie. Il voulait suivre l’exemple des chamans qui s’imposaient des épreuves pour mourir à leur corps et renaître pur.


P. 87, chapitre 5

Sylvain Trudel
Terre du roi Christian
Éditions Quinze
 


Au cœur des têtes folles, des gestes incontrôlables, des mots sans queue ni tête, des chattes en chaleur, des lèvres closes dans les yeux aveugles, des rires jaune foncé, du sang sur les doigts pulpeux, des rôles sur mesure, de la viande autour de l’os, des ailes pour des oiseaux manchots, de la misère aux souvenirs de guerre, du séropositif dans le clavier, de la folie comme on l’aime, de la bonne vieille schizophrénie à la maniaco dépression, des hommes et des femmes dans les alentours d’une forêt aux portes ouvertes, une mémoire d’enfant abusé, des roulements de hanches, un costume pour la folie, un décor pour les zombies, une tranchée de veines noires de la destinée, une pleine lune dans la fenêtre des lubies, des garçons et des filles qui dansent, des souliers en transe, des belles vaches gentilles qui paissent dans un pré imaginaire, un doberman affectueux, de la bisbille, du chaos, du calme, des envies de s’évader, un enclos, des murs couleur plaster, des matelas vieux de vingt-cinq ans, des cigarettes roulées à l’infiniment, du café et du pop-corn, des mains et des pieds, des odeurs de parfum d’abandon, de la promiscuité, de l’incompatibilité, du désarroi, de la tendresse dans le bordel de l’humanité et un JOYEUX NOËL…


(La contrebasse de Ruben Samana, le piano de Jef Neve et le drum de Teun Verbruggen…dans le lecteur de l’ordi, une musique faite pour être écoutée sans douleur, et pourtant…)


KLINIKEN (Crises), une emporte-pièce dans l’asile de Lars Norén, quelque chose que je ne suis pas prête d’oublier. Tout d’abord pour son ensemble cohérent dans la disjonction, pour la performance exceptionnelle de Roland Lepage avec son Markus, ce jeune comédien de 82 ans qui en surprend plus d’un par ses acrobaties, son travail presque muet mais tellement physique qui a fait de lui le héros de cette pièce de renfermés oubliés par la société. Des scènes très touchantes, entre autres celle d’Anne-Marie, toujours aussi douce intense Lise Castonguay, comment ne pas avoir frissonné à l’entendre raconter SON histoire d’inceste, parce que tout le monde a la sienne; et celle de Mohammed, intense et magnifique Frédérick Bouffard, qu’il faisait plaisir de revoir, émigré bosniaque qui a vu disparaître sa famille sous les bras et les jambes des bourreaux; et Tomas, Réjean Vallée, avec son si beau visage rempli de cette bonne vieille tristesse, comment ne pas s’être mis à sa place pour seulement vivre ce que c’est d’apprendre le mal incurable qui vous tuera on sait pas quand; et la maniaco-dépression de Maud, fabuleuse Linda Laplante, qui a littéralement soulever le décor par la force de son monologue relatant SA maladie, SON désarroi, SA folie; et Sofia, anorexique, sublime Klervi Thienpont qui par la fragilité de sa voix dans l’espace restreint de sa turpitude, ne mange presque plus, passe son temps à se se purifier, comme le Luc de Sylvain Trudel; et les hyper manigances de " l’empereur " Roger, hyperactif Tourette de Christian Michaud, lui aussi au jeu très physique, hallucinant, touchant, énergique comme pas un dans sa grande vulnérabilité d’homme-enfant achattant; Érika Gagnon, avec sa Marjorie pétante de santé, mentalement parlant, qui livre une performance des plus endiablées; Anders, adoucissant Kevin McCoy, avec sa tendre folie, qui aime tellement les animaux; et Fabien Cloutier, en gardien Tomas, qui gave de pilules et surveille ses (im) patients, qui au moindre écart se fait aller le sifflet...

Tous ces personnages, sur la scène presque toujours en même temps, comme un véritable tour de force, parce que ce n’est pas toujours évident de suivre la folie…Gill Champagne a magistralement orchestré ce carnaval de démasqués, on a goûté au sucré-salé de la folie. Au sortir de la pièce, à l'arrêt de bus, une ex-infirmière psychiatrique m'a témoigné de la véracité de la pièce: « c'est vraiment comme ça vous savez ». Un fait anecdotique quelque peu inusité ce soir; j'étais assise entre deux prêtres à la retraite, mais qui bénévolent, celui de gauche a rit souvent et a semblé apprécié le spectacle, l'autre, de droite, n'a pas émis un seul rire, peut-être était-il sous le choc ou simplement muet...

***



Aujourd'hui, c’est dimanche, le 21 novembre, il est minuit passé, 'around midnight, c’est nuit de pleine lune; je pense au Roger de Christian Michaud et je ne peux m’empêcher de penser à C., ce jeune homme que je connais depuis une dizaine d'années, qui est atteint du syndrome de la Tourette, et qui vendredi soir dernier a pété une coche on ne sait pas encore pourquoi, il a foutu une peur à ses parents puis s'est barricadé pour finalement mettre le feu à sa maison. Je pense aussi à F., cet autre jeune homme que j'ai connu il y a quelques années, qui a tous les symptômes de la bipolarité, qui faisait peur aussi, et à tous ces dépressifs chroniques, schizophréniques, etc…parce que la maladie mentale ne touche pas que celui qui en est atteint mais les membres de son entourage, ses amis, ses parents, ses collègues de travail. Je pense aux fous, aux vrais, les grands, les beaux, les démesurés, les accrocs, les sans-génie, les délaissés-pour-compte: combien d’entre nous en sommes ? Combien d’entre vous en serez ?…C’est pourquoi, dans quelques jours, je retournerai voir ...ET AUTRES EFFETS SECONDAIRES, pièce qui traite de la schizophrénie, qui avait été jouée l’an dernier chez Premier Acte par la compagnie DES MIETTES DANS LA CABOCHE, pour revoir le jeu absolument " débile " de Jean-Pierre Cloutier et Matthew Fournier, deux jeunes comédiens exceptionnellement beaux et talentueux et la plus qu'énergique mise ne scène de Marie-Josée Bastien, mais avant cette représentation: UN SOFA DANS LE JARDIN, du Théâtre Niveau Parking, quelque chose qui devrait bien se faire voir en ces temps farcis de moyenne noirceur...


KLINIKEN (Crises)

Texte Lars Norén
Traduction Arnau Roig-Mora, Jean-Louis Martinelli et Camilla Bouchet
© L'Arche Editeur
Mise en scène Gill Champagne
Scénographie Jean HazelCostumes Dominic ThibaultMusique Marc Vallée
Une coproduction avec le Théâtre Blanc

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