samedi 1 octobre 2011

LA NUIT DES ROIS ou ce que vous voudrez: le chant de l'heure


Illustration: Gill Champagne
Reproduction photo: Stéphane Bourgeois
 Design: diese.ca
Portrait inspiré de la photographie de Klervi Thienpont
crédit: Brigitte Thériault


 
Jeudi soir dernier, dans la salle de l’Octave-Crémazie, il y avait beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles du CEGEP Limoilou; ils avaient un travail à faire pour leur cours de français. L’une d’entre elles était assise à ma droite en compagnie de son amie du secondaire IV. Si vous aviez vu les yeux de cette dernière à la fin de la représentation ! Le look de son regard flamboyant valait à lui seul le prix de ma présence à cette soirée de théâtre des plus réussies. Elle a été subjuguée par tout ce qu'elle a vu. Elle était au septième ciel. Ses applaudissements à tout rompre, accompagnés de ceux d'un public qui ne s'est pas fait prier pour se lever d’une traite, les sifflements, les exclamations, beaucoup de bruit…pour quelque chose…et Feste...ah! qui nous a toutes renversées, les vieilles comme les jeunes... 

William Shakespeare, une fois de plus, et non la moindre, est venu nous rendre visite à Québec. Après son ROMÉO ET JULIETTE en février et sa TEMPÊTE en juillet, c'était au tour de sa NUIT DES ROIS ou ce que vous voudrez…Il nous en a encore fait voir de toutes les couleurs, par tous les miroirs de sa vérité...sur le mensonge...Trois Shakespeare par an, c’est une excellente moyenne, assez en tout cas pour entretenir sa mémoire...et la nôtre.  

Cette pièce a été écrite pour être jouée pendant les festivités de l'épiphanie, et la première représentation le 2 février, à la chandeleur, qui était alors le moment principal des fêtes de l'hiver, à Londres, au Middle Temple (Inns of Court). La date présumée de composition de cette pièce est située entre 1599 et la fin de 1601. (sources: wikipedia)



C’est Jean-Philippe Joubert qui a réalisé cette éclatante mise en scène. La distribution, haut de gamme, avec des voix qui portent, dans un décor lumineux, celui de Claudia Gendreau, agrémenté de pièces musicales enchanteresses de Mathieu Campagna et des chatoyants costumes qui vont de la soie au velours, que demander de plus ?



Des caractères uniques


Jean-Jacqui Boutet (Sir Tobie) et Denis Lamontagne (Sir Andrew): un duo hilare, tout à fait énergique, chatouillant comme une plume légère; Kevin McCoy (Malvolio): adorable martyr, avec son texte joué en anglais/français, une façon de nous faire savourer l’original du texte; Olivier Normand (Feste): le coup de cœur sensible de ces dames, avec son long manteau de velours vert et son haut-de-forme, sa voix caverneuse et sa touchante interprétation; Anne-Marie Olivier (comtesse Olivia): imprégnée de son aura habituelle, ravissante et tellement (b)elle; Jean-Sébastien Ouellette (Orsino): toujours aussi grand et captivant, princier, royal, et ce soir...ducal; Lucien Ratio (Sébastien (et un musicien)): explosif dans son beau costume bleu lustré; Klervi Thienpont (Viola/Cesario): éblouissant (e)…dans son beau costume....bleu...lustré; Marjorie Vaillancourt (Maria): remplie de toute la vigueur permise des espiègleries, avec ses petits gants rouges ajustés, et une coiffure qui ne manquait pas de toupet; Réjean Vallée (Fabien (et le Capitaine)): toujours aussi beau, bon et...cher, avec toute sa loyauté aux grands textes; Mathieu Campagna et sa mélodieuse musique, qui est en soi un personnage à part entière de la pièce; Matthew Fournier (Valentin le musicien): avec le regard intense de sa fougue joviale de jeune premier, un comédien découvert chez Premier Acte dans ...et autres effets secondaires, qu'il me faisait grand plaisir de revoir; et finalement Patrick Ouellet: (Antonio et Curio le musicien): une très belle découverte pour la Spectatrice qui peut-être l'avait déjà vu ailleurs mais pas assez remarqué...


Pour retourner vivre quelques deux heures quarante à l’époque des ducs et des comtesses, avec leurs maîtres et valets à bord de la scène...pour partager leurs farces et attrapes...pour voir (ou revoir) et subir leurs grandes et petites manigances...pour étancher la soif des mots qui donnent à boire à toutes ces histoires faites de scènes de choix qui ne vieillissent pas... pour retrouver les mots d'un certain temps qui n’en n’auront probablement jamais fini avec l’histoire de ce grand théâtre qu'a écrit William Shakespeare...ces histoires qui n'en finiront jamais de faire réfléchir et émouvoir le Spectateur, autant le Jeune que le Vieux...pour s'imprégner de la douce folie des grandeurs qui habite encore les esprits-châteaux de cette Angleterre qui ma foi n’a pas réellement changé...pour perpétuer l'oeuvre d'un créateur encore si actuel...pour se retremper de la pluie d'autrefois...pour se sécher au soleil d'aujourd'hui...


La pluie...oui, et tous ses clous qui tombaient à la sortie....

À l’arrêt de bus, il y avait trois autres jeunes trois filles qui venaient d'assister à la pièce. Leurs sourires remplis de béatitudes disaient tout…et la question de la vieille dame: « Et votre favori ?» FESTE !!! ont-elles répondu toutes en c(h)oeur !!! Ah! ce beau jeune fou qui faisait le relais de ses émotions aux nôtres, avec sa voix profonde et ses gestes gracieux, il a fait l’unanimité et remporté la palme des interprètes. Dans l’autobus, un autre jeune homme, qui peut-être un jour aura autant de charisme qu Olivier Normand. Je ne connais pas son nom, mais à l'entendre parler de théâtre à son interlocuteur, surtout de la pièce à laquelle nous venions d’assister, il m'a paru être un fin critique. Il parlait aussi de TOM À LA FERME, que j'ai vu la semaine dernière à la Bordée; je n’ai alors pu résister à la tentation de m’immiscer dans la conversation. Nous avons donc eu un échange intéressant à propos de la fin bouleversante de la pièce écrite par Michel Marc Bouchard; nous étions d’accord avec le fait que cette pièce était fort différente de ce à quoi nous venions d’assister au Trident, mais que, finalement, LA NUIT DES ROIS est une pièce qui finit bien, et qui fait aussi...du bien. Point.


La pluie...encore...Le transfert pour la 54...Dans l'abribus, les jeunes jumelles chinoises…Nous nous étions perdues de vue depuis le Grand Théâtre...Une autre belle conversation pour achever ce parcours shakespearien...L’une d’entre elles avait vu LE DRAGON BLEU de Robert Lepage, et regrettait de ne pas avoir vu LA TEMPÊTE cet été à Wendake. Dommage que le temps passe aussi vite, nous aurions pu continuer à parler de théâtre et de ce qu'il fait pour nous... Les deux soeurs sont descendues quelques arrêts avant le mien. Qui sait, peut-être nous reverrons-nous par un de ces soirs de hasard...le monde est tellement petit...


Ma nouvelle place, la H2, est à mon avis ce qu’il y a de mieux pour contempler les scènes majestueuses qui se dérouleront sous mes yeux toujours et autant émerveillés lors de cette saison 2011-2012. Être plus près de l’action pour ne rien manquer du son des bouches, pour reluquer les gestes fous, pour repérer le tremblement d’une main, pour capter la lumière d’un œil luisant, pour entrer dans la danse de l'autre…Être près…Être ici ou là, via l’œuvre d’un auteur, plus ou moins connu, être près des artisans qui la créent, ou la recréent, faire partie de ce tumulte de sérénité qui s'inscrit dans la mémoire spongieuse du Spectateur pour un moment de vérité marqué au fer rouge du plus crédible des mensonges...Être là, pour importer dans mon regard la densité de celui de l'Acteur, pour faire partie de son jeu. Pour être son interlocuteur...pour être à ses côtés et de ceux-là qui le mènent....

...Arrivée dans la rue vidée des sons du quotidien, la nuit des rois pouvait recommencer...rare et juste...juste pour moi....pour débuter le songe d'une nuit d'automne...


Conception

Texte: William Shakespeare
Traduction: Normand Chaurette
Mise en scène: Jean-Philippe Joubert
Scénographie: Claudia Gendreau
Musique: Mathieu Campagna
Costumes: Julie Morel
Éclairages: Caroline Ross
Maquillages: Élène Pearson


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