vendredi 23 juin 2017

DES ARBRES À ABATTRE : la porte !

Photo: Natalia Kabanow


Derrière la noire forêt
Je brûle ce feu de mon âme
Dans lequel vacille le souffle des villes
Et le merle de l’angoisse.
A mains nues j’abats ces flammes,
Qui montent au cerveau de l’air
Et qui tremblent en mon nom.
Nuage, mon cœur voyage
Au-dessus des toits
Près des fleuves
Jusqu’à ce que, pluie tardive, je revienne
Au fond de l’automne.
SUR LA TERRE COMME EN ENFER

Thomas Bernhard



LA PORTE !

Le monde qui fume dans une cage de verre
Le monde qui mange tout ce qu’il y a dans la soupière
Le monde qui rêve de forêts et de rivières
Le monde qui est à bout de souffle
Le monde qui est au bord du gouffre

L’Art qui se réfugie dans la neige
L’Art qui vaut ici ses poisons d’or

C’est le dîner de la faune
C’est la mort qui rit jaune
C’est le monde comme une mode passagère
C’est le monde comme un grand mal comme ode



C’est le monde étêté comme une coupe sélective
C’est notre monde sans fond et cul par-dessus tête
Notre monde prisonnier de ses millions d’icônes
Notre monde empoisonné par l'enfer et ses anges
Notre monde qui dort assassiné dans le cœur de la poussière
Notre monde que rien ou presque ne dérange

C’est le vin qui coule à flot dans les gorges nouées serrées
C’est la table qui s’est mise à nu pour la dernière scène
C’est le Boléro de Ravel (bis) pour calmer « l’Irritation »
C’est la lumière au-dessus de nos têtes de Spectateurs
C’est le coin sombre à droite pour la chaise du Narrateur
C’est le bol de goulache après le cimetière
C’est ici et là toute la frénésie de l’Auteur
C'est le dédoublement de l’intensité des Acteurs
C'est la gueule de l'Artiste avec son Masque bien en place
C'est sa Mort qui le saisit sans qu'il lui ait fait vraiment face



Illustrations: L.Langlois


C’est le temps d’une cuite un jour de deuil
C’est le monde dans une huître sans perle
C’est l’interférence d’un metteur en scène
La tristesse et la joie dans SON collimateur

Nous nous souviendrons de tous ces gens parmi nous
Nous nous souviendrons de ce dimanche 28 mai 2017
Bien calés dans nos sièges de la salle Louis-Fréchette
Nous attendons que Mrs Auersberge chante du Purcell

Mais en l'attendant...


 What Power art thou who from below
Hast made me rise unwillingly and slow
From beds of everlasting snow?
See'st thou not how stiff and wondrous old,
Far unfit to bear the bitter cold,
I can scarcely move or draw my breath?
Let me, let me freeze again to death



tels deux arbres 
sous les étoiles, 
Joanna Thul 
et Nelly Arcan;
leurs langues 
abattues,
et depuis peu,
pendues…

Kristian Lupa

DES ARBRES À ABATTRE (WYCINKA HOLZFÄLLEN) de Thomas Bernhard, adapté et mis en scène par le polonais Kristian Lupa: un sacré beau pèlerinage au sein d’une machine bien huilée appelée le Polski Theatre in Wroclaw (Pologne). Cette troupe prestigieuse venue de l’Outre-Atlantique a transformé la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec en une sorte d’atelier pour assistants spectateurs, pour la plupart venus s’initier à l’art pur du geste et de la parole qui se dégage de cette méga production qui ne cesse de faire parler d’elle à travers le monde. Pour ma part, ce fût un baptême pour le moins bien arrosé de contemplatif et d’admiratif.


Depuis l’écran vers la scène, la sensation d’avoir été transportée directement au pays du deuil de Joanna Thul, admirable Marta Zieba, celui où la Mort lui avait donné abruptement ce rendez-vous fatal avec Elle. Le cortège d’amis qui veut lui rendre un ultime hommage nous fait passer par toute une gamme d’émotions, de celles qui touchent la fibre des extases comme de celles des grandes colères, qui laissent leurs empreintes sur la peau de nos cafards nauséeux. Parce qu'une vie de moins parmi nous, c’est une mort de plus de par chez vous. Au retour de la pièce, une drôle de coïncidence: des arbres abattus sur les Plaines.... 




Les comédiens du Polski Theatre in Wroclaw, par leur professionnalisme et leur application, n’ont vraiment pas raté leur embarquement pour le Québec. En espérant que le CARREFOUR INTERNATIONAL DE THÉÂTRE DE QUÉBEC les programme à nouveau dans un avenir rapproché.


(en mémoire d'Ekdal)

« Si vous retirez le mensonge de la vie de personnes ordinaires, vous leur retirez en même temps le bonheur ».
LE CANARD SAUVAGE
Henryk Ibsen

Résumé
Forêt, forêt de haute futaie, des arbres à abattre : tel est le cri du cœur (et le cri de guerre) que ne peut s'empêcher de pousser le comédien du Burgtheater au cours du dîner artistique donné en son honneur, à l'issue de la première du Canard sauvage, par les époux Auersberger, représentants on ne peut plus typiques de cette société artistique viennoise que l'auteur-narrateur abhorre et avec laquelle il se flatte d'avoir rompu une bonne fois pour toutes quelque trente ans auparavant. Forêt, forêt de haute futaie, des arbres à abattre : parole emblématique opposant à une réalité monstrueusement tangible de l'artifice social le rêve d'un état naturel révolu (et peut-être à réinventer), mais aussi formule magique susceptible de calmer la formidable irritation qui gagne le narrateur au contact renouvelé de cette épouvantable société artistique viennoise qu'il s'était juré de fuir à jamais et à laquelle il est bien forcé de constater qu'il n'a pas cessé d'appartenir.


Quand vous écrivez, vous avez le choix d’exprimer des choses personnelles sur le ton de la colère et de l’agressivité, rendant ainsi votre lecteur un peu plus dégoûté. Vous pouvez aussi, dans l’espace d’un article, non pas donner dans un optimisme facile de curé, mais trouver une manière de cerner une situation, fictive ou réelle, qui renouvelle le courage. Ce qu’on appelle l’espoir. Pour nous, c’est le but dans tout acte de théâtre.

Peter Brooke
Toute victoire est une défaite
LE DEVOIR, 18 mars 2017


Sepp Dreissinger, 1966
Thomas Bernhard
Obernathal, Austria

Everyone, he went on, speaks a language he does not unserstand, but which now and then is understood by others. That is enough to permit one to exist and at least to be misunderstood.
Thomas Bernhard
GARGOYLES



L'Auteur

Le roman Des arbres à abattre (1984) est immédiatement confisqué à la suite d'une plainte en diffamation du compositeur Gerhard Lampersberg qui se reconnaît dans un des personnages principaux. Une fois l'interdiction levée, Bernhard riposte en demandant que ses œuvres soient retirées des librairies autrichiennes. La plainte est retirée en 1985.





Photo: L.Langlois

DES ARBRES À ABATTRE

Texte: Thomas Bernhard
Adaptation, mise en scène, scénographie, lumière: Krystian Lupa

Basé sur la traduction de: Monika Muskala
Costumes: Piotr Skiba
Arrangements musicaux: Bogumil Misala
Vidéo: Karol Rakowski et Lukasz TwarkowskiTraduction française et adaptation du surtitrage: Agnieszka Zgieb
Production: Teatr Polski/Wroclaw

Interprètes: Bozena Baranowska, Jan FryczAnna Ilczuk, Michal Opalinski, Marcin Pempus, Halina RasiakównaPiotr Skiba, Ewa Skibinska, Adam Szczyszczaj, Andrzej Szeremeta,
Wojciech Ziemianski, Marta Zieba, Jadwiga Zieminska



Montage photo: L.Langlois

Des cercueils de la nuit / 
monte la lune enragée /
qui tire le linceul de l’hiver / 
sur les pâles épaules / 
des tristes prairies et 
des ruisseaux malades ». 

Thomas Bernhard
Sur la terre comme en enfer



BONNE FÊTE 
M. HÉBERT

En ce soir mémorable du 28 mai 2017, le Grand Théâtre de Québec offrait un programme double aux amateurs de théâtre soit DES ARBRES À ABATTRE, de 15 à 20 heures dans la salle Louis-Fréchette puis l’HOMMAGE À PAUL HÉBERT, à 20 :15 heures dans la salle Octave-Crémazie. Une soirée qui se terminait tout en beauté avec tous ces bons mots à l’endroit de l’un de nos plus grands hommes de théâtre. 


Marie-Ginette Guay
Yves Jacques

Anne-Marie Olivier, Roland Lepage, Mari Tifo, Marie-Thérèse Fortin, Benoit Gouin, Dorothée Berryman, Yves Jacques, Jean Provencher, Régis Labeaume, Geneviève Albert, Danielle Drolet, et plusieurs autres qui l'ont connu ont rendu un vibrant hommage à cet homme qui aura marqué son époque...et la nôtre...


 Parce que ça prendra toujours un 
BOLÉRO pour se replacer les idées !





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