lundi 15 août 2011

MICHEL CHARTRAND, LE MALCOMMODE: un homme d'exception

Photo: La Presse



À la mémoire de Michèle Gauthier *


Ce soir, c'est le vent frais de l'incertaine nostalgie qui est venu balayer les ondes blanches de mon vieux téléviseur...Un homme se tenait là, attablé avec quelques uns de ses jeunes et vieux amis de combat, et même si on l'a filmé assis, il était toujours debout. Son oeil pétillait autant que lorsqu'il était jeune, son regard noir perçant le voile de notre noirceur...

MICHEL CHARTRAND, LE MALCOMMODE, film documentaire de Manuel Foglia, m'a rappelé combien cet homme au cœur gonflé de justice et d'égalité avait été l'un de ceux qui aura marqué plusieurs générations dont la mienne, celle qui avait 13 ans en 1970. Tout plein de souvenirs, heureux pis malheureux, sont venus remonter le cour de ma mémoire de mi-quinquagénaire, couloir sombre et/ou mi-ensoleillé encombré de la survivance de mes souvenirs.

Combien encore parmi nous peuvent dire à leurs enfants, petits-enfants, arrières-petits-enfants, qu'ils ont été de ceux-là qui furent piqueteurs sur la ligne dure de la bataille avec les grévistes d'Asbestos, de Louiseville, de Murdochville, de la Presse et autres crises syndicales ? Plus tellement. Plus tellement....




Bonjour M. Foglia,


Je viens tout juste de voir votre film à Télé-Québec: superbe ! J'ai vraiment apprécié être retournée dans ce Québec des avant prochaine fois, un Québec qui on dirait bien n'appartient plus tellement à la génération de mon père. Mon père, André, un des non plus ou moins célèbres 12012, qui a travaillé dur pour Hydro-Québec. De camionneur des man hole au bureau enfumé des inspecteurs, ce pendant trente-deux longues années, assez pour en avoir fait un premier infarctus. Mon père qui fût de l'UN, du PLQ, du RIN, du PQ, et même du NPD, était également un sympathisant modéré du FLQ. Mon père adoré qui m'a initiée à la politique et qui aimait beaucoup le bouillant syndicaliste qu’était Michel Chartrand, m' aura lui aussi fait vivre les belles heures sombres et/ou mi-ensoleillées de notre évolution tranquille.


Ces images m'ont rappelé que notre peuple fait et fera toujours partie de ce monde rempli de grogne, de folie, de joie de farces et d'attrapes. Ce monde, farouchement apprivoisé qui fait du piquetage, du travail au noir, de la traite des blanches, qui tricote mal ses bas de laine; ce monde, assommé à grands coups de pelles, de matraques et d'épées dans l'eau chaude l'eau frette; ce monde, asphyxié par les gaz, étranglé par la beauté, étripé par la peur; ce monde assoiffé de bière, de fun, de pleurs, de rage et de peine. Ce monde encore une fois tout à refaire.


De l'enfance à l'adolescence, pour aboutir à l'adulte que je suis devenue avec le temps, je me suis souvenu qu'il y eut un début, un milieu et probablement une fin pour ce monde fait d'un temps dit nouveau. De voir ces hommes et ces femmes attablés en amitié avec Michel le vétéran, a enflammé une partie de mon cœur saignant sous ma plume. Ça m'a ramenée à cet après-midi d'avril 2000 quelques, jour où j'ai eu l'immense plaisir de serrer la grande carpe de cet homme exceptionnel, c'était lors d'une séance de signature dans un Salon du Livre à Québec; laissez-moi vous écrire, cher M. Foglia, que sa chaleur humaine brûle encore dans la mienne.


Il était très émouvant de revoir ce Grand Frère de la lutte sociale, éternelle, lui, qui à plus de 90 ans fumait encore son gros cigare, buvait le vin du bon vivant et sacrait encore comme à ses quarante. Ce fût très accommodant de le voir revivre ainsi dans la maison de son avant-dernier repos. Merci M. Foglia pour ce renouement de Fraternité conjugué aux bienfaits et malheurs de l'Intégrité, ça fait du bien de constater, en ces temps de déchirures internes, jusqu'où la parole entraînante d'un seul homme peut nous mener...Au grand bal masqué de ses amis fidèles et/ou infidèles. ;-)


Merci d'avoir si intelligemment capturé la lumière " chrétienne " de ce regard flamboyant ainsi que celle de ses belles et nourrissantes saintes colères. Avec Victor-Lévy Beaulieu, père d'un certain Malcomm Hudd, Michel Chartrand demeure pour moi un être d'exception, un cultivateur de rêve (s) qui me laboure l'Essentiel et l'Indéracinable.


Michel Chratrand en compagnie de
Raymond Cloutier et Victor-Lévy Beaulieu
aux Trois-Pistoles, en 1995.

Photo: Groupe CNW/Victor-Lévy Beaulieu

Note de VLB: « Ne pouvant répondre à tous les médias qui me demandent un mot ou un témoignage sur Michel Chartrand, je vous envoie le texte ci-dessous écrit à l’occasion des 90 ans de celui que je considère comme l’un des trois grands hommes politiques de notre époque, les deux autres étant Jacques Parizeau et Camille Laurin. Bonne lecture. »


Cher camarade,


Ce petit mot pour vous dire tout simplement que si je peux encore espérer devenir quelqu’un dans la vie, c’est à vous que je le dois. Peu d’hommes québécois m’ont marqué comme vous l’avez fait. Je me souviens que mon père fermait la radio quand vous y étiez interviewé tellement il avait peur de l’idée de liberté que vous incarniez si totalement. Je me souviens aussi de la grève au magasin Dupuis & Frères, des abeilles qui y volaient joyeusement grâce à vous, en ce temps où le syndicalisme était un vrai combat mené par des chefs qui n’avaient pas peur de mettre leurs culottes. Comparé aux moumounes qui dirigent aujourd’hui les mouvements syndicaux, crisse que c’était stimulant de vous entendre et de vous voir agir, sans compromis ni compromissions, pour l’établissement d’un Québec indépendant et socialiste!

Je rêve de vivre au moins jusqu’à 90 ans comme vous, ne serait-ce que pour écœurer ce monde que vous avez combattu, celui des poules mouillées, des crosseurs politiques en chef et en sous-chef, des arrivistes, des magouilleurs, des défaiseurs de pays, des traîtres à la nation et à la culture québécoise. 
Merci d’avoir été là et d’y être toujours. Vous êtes un formidable exemple, le seul à m’être aussi essentiel.


5 mai 2010


P.S. Moi aussi, je rêve que Victor-Lévy Beaulieu puisse vivre jusqu'à au moins 90 ans, qu'il fasse du pays de son père un monde pour mes frères.





* Mon père connaissait Pierre Gobeil, journaliste à la Presse, la mort de Michèle Gauthier avait été un autre de nos sujets de conversations enflammées. Un de plus.



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