samedi 3 octobre 2009

Chez le Libraire

La rue des Navigateurs
(photo: Neko Likongo)

" Je suis un indépendantiste et je sais ce que c’est le Canada, lance-t-il. Je vais donner un exemple. Au printemps, CBC et Radio-Canada nous ont cassé les oreilles avec Vimy. Ils veulent nous montrer que c’est grâce à cette guerre qu’on a une armée et une unité nationale. Nous partions pour défendre les intérêts de l’empire britannique. Pendant ce temps-là, en 1916 les francophones perdaient leurs droits linguistiques. Et la même chose est arrivée en Ontario l’année suivante… Mais là, je parle comme Pierre Falardeau. "

Roger Auger, auteur et libraire
La Liberté, 23 mai 2007


Le monde est petit, c'est vrai, et surtout à Québec. Au 20 de la rue des Navigateurs, (c'est l'édifice blanc sur la photo plus haut), y vit un libraire, avec quelques uns de ses livres anciens. Je n'avais jamais encore remarqué cette librairie. Probablement parce que le temps n'était pas encore venu d'y mettre les pieds, ou plutôt d’y faire entrer mes yeux.

M. Roger Auger, qui l'habite depuis 1981, m'accueille gentiment. Le local est plutôt exigu, bien " encombré " par tous ces vieux livres rares. M. Auger est spécialisé en canadianna. Mais ce n'est pas tant les livres pour une fois qui retiennent mon attention, mais l'homme qui se trouve derrière eux. Il aura fallu prononcer le seul nom d'un auteur que nous aimons beaucoup tous les deux pour que la conversation s'anime et revienne toujours tourner autour du pot de ce célèbre personnage qu'est l’unique Victor-Lévy Beaulieu. Ah! ce cher Victor-Lévy Beaulieu (et non pas Victor Lévy-Beaulieu, comme l'a mal tapé la journaliste du Devoir il y a une couple de semaines) nous n'en reviendrons donc jamais, toujours aussi fringant et fidèle sur nos tables de chevet de rebelles...

Quelle verve possède ce M. Auger, il est tout ce qu'il y a de plus passionnant pour une lectrice pas toujours avertie. La conversation, j'allais écrire la conversion, truffée d'anecdotes littéraires toutes aussi surprenantes les unes que les autres, a presque pris des airs de cours de littérature 101. Nous avons bien sûr évoqué quelques souvenirs du bon vieux temps, parlé de quelques auteurs d'ici, dont Jacques Côté qui, par un autre de ces beaux hasards, se trouve être son voisin. Jacques, alors étudiant en musique, avec qui j'ai travaillé il y a quelques 30 ans chez un disquaire de grande surface, aujourd'hui discontinué. Jacques, de qui j'ai lu Les amitiés inachevées, et dont l'action se passe ici-même, dans la vieille ville, un roman qui m'avait beaucoup touchée à l'époque, qui parlait du suicide. Jacques, de qui je n’ai pas encore lu Les tours de Londres, ce roman qui traîne avec les autres dans l'armoire, et qui attend...son tour...

Oui, ce monde est petit, si petit...Nous avons également parlé de librairies, celles d'occasions comme celles qui s'installent dans et devant nos effoirés de salons, pour en venir à une conclusion probante: nous ne fréquentons plus ces endroits où il faut payer un droit d'entrée pour y acheter de la marchandise d’étalés. M. Auger ne privilégie dans son antre que les livres ayant attrait avec la pensée, celle qui malheureusement déserte de plus en plus l'aire pollué des grands salons du bon marché.

Nous n'avons pas eu le temps de parler du E-book, mais comme son ère semble être arrivé, je me demande si ce gadget, apparemment fort pratique pour ceux qui ne veulent pas trop encombrer leurs salons high-tech, et qui selon les analystes du bon marché devrait être déposé par tonnes de copies en dessous des milliers de sapins artificiels à Noël prochain, finira par détrôner le livre conventionnel, comme le polycarbonate et l'aluminium le firent pour le vinyle ?

Le livre, tel que vu, lu et senti jusqu'à aujourd'hui, celui qui se prend encore effrontément ou tout doucement entre les paumes humides de nos mains d’effeuilleurs éhontés, finira-t-il par disparaître ? Pour l'immédiat, si l'on se fie au nombre impressionnant de bouquineries que la ville de Québec compte sur son petit territoire, je serais plutôt portée à croire que non. Il y aura toujours des chercheurs de trésors... 

***

Je venais juste de commencer à lire Fou-Bar, d'Alain Beaulieu, un autre auteur comme Jacques Côté, qui vit, écrit et enseigne ici, dans la Capitale, que j'apprenais, via son site web, qu'il vivait une " rupture " avec tout ce qu'il avait écrit jusqu'ici. Etant déjà fort aspirée par l'histoire d'Harold et de Nadine, je me suis donc dit qu'il faudrait que je trouve dans une bonne librairie son dernier lit, son fils perdu, son joueur de quilles et la Cadillac blanche de Bernard Pivot, pour y alimenter ce feu de mots qui consume les soirées de l'automne pluvieux… Encore des mots, toujours des mots. Cela ne suffira jamais.

***

Mais on est de cette race-là. On peut en faire la généalogie. Comme on est devenu des Franco-Manitobains, on ne voit plus ce lien culturel. Quand on était jeune, à l’école, on était de cette même civilisation. Dollard était notre héros. Champlain était notre fondateur. Il y avait un continuum avec l’ancien temps. Mais il y a une cassure et nous ne sommes plus ce grand peuple de Canadien Français. Et cette dérive s’accentue encore aujourd’hui. "

Roger Auger, franco-manitobain et défenseur de la Langue française



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