dimanche 17 octobre 2010

ABRAHAM LINCOLN VA AU THÉÂTRE: Le sang suspect

Affiche: LINO



« Plusieurs jeunes sont fascinés par la célébrité et l’argent. Surtout qu’aujourd’hui, les choses sont de plus en plus faciles pour eux, grâce, par exemple, à l’ordinateur qui fait en sorte que tout est à leur portée. Alors, c’est facile de faire l’équation que, dans la vie, on réussit sans trop faire d’efforts. Mais il faut qu’ils comprennent qu’on ne fait pas ce métier pour faire de l’argent, mais bien par passion ! C’est un milieu où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. »

Benoît Gouin à Cynthia Dubé
Le journal de Sherbrooke
13 octobre 2010


" Étendu sur un divan dans sa chambre, Lincoln jeta un coup d’œil de l’autre côté de la pièce vers un miroir sur le bureau: il s’y reflétait presque entièrement. Mais son visage présentait deux images distinctes. Stupéfait, il se leva et s’approcha de la glace: l’illusion disparut. Il s’allongea de nouveau et la double image réapparut, plus nette que la première fois. Un des visages était plein de vie, l’autre d’une pâleur mortelle. Un frisson le parcourut. Plus tard, il en parla à sa femme Mary qui fut très troublée. Cette vision, pensa-t-elle, signifiait qu’il irait jusqu’au bout de son premier mandat mais mourrait pendant le second. "

Victor-Lévy Beaulieu
LA GRANDE TRIBU
Cinquième partie Les Libérateurs


La pièce commence avec un extrait du film DOG DAY AFTERNOON: Al Pacino projeté sur l’écran/rideau, il s’asticote avec un policier, ça f… le chien là, monsieur ! Curieux ce rideau, mais bon ça doit être pour la scène inaugurale...

M., qui m’accompagnait en cet après-midi de temps de chien, assiste rarement à des pièces de théâtre. C’est elle la semaine dernière qui m’a demandé si elle pouvait venir avec moi avant qu’elle ne s’envole sous d’autres cieux. ABRAHAM LINCOLN VA AU THÉÂTRE figurait sur ma liste de pièces à voir cet automne, alors, comme M. aime bien rire et réfléchir, et qu’en plus sa peau revêt la couleur des ex-esclaves de cette belle et grande Amérique, j’ai pensé que le sujet pouvait sans doute l’intéresser. Il n’en fallait pas plus que ses rires discrets pour m’apercevoir que mon choix avait été pertinent, les comédiens ayant accomplit à la perfection leur boulot pour séduire mon amie.

Notre stupéfaction à l'apparition de Lincoln tout frais ciré, les fesses carrées bien assises sur une chaise bien droite, nous a laissé pantoises: hallucinant comme maquillage ! Benoît Gouin (en Lincoln/Mark Killman) est absolument époustouflant, et ses deux comparses, Maxim Gaudette (en Christian Larochelle) et Patrice Dubois (en Léonard Brisebois) le sont tout autant, on croit immédiatement aux différents personnages qu’ils incarnent à tour de rôle. C’est un véritable tourbillon d’humanité ce texte de Larry Tremblay, quelque chose qui nous parle de la vie des acteurs, jusqu’où ils sont prêts d’aller pour arriver à leur faim…

Des coups de poings aux coups de gueule, des coups de cœur aux coups de couilles, des insultes aux louanges, des claques aux baisers, de la bassesse aux auteurs, de porteurs d’ordures à tristes séducteurs, de nourritures terrestres à pourritures célestes. Entre l'amitié et l'amour, il n'y avait qu'un pas à faire et un coup de revolver. Laurel et Hardy, en savaient quelque chose...

Et nos têtes à nous, Spectateurs, comment font-elles pour suivre toutes les histoires dans l’histoire ? Le procédé de la mise en abyme, ou le théâtre dans le théâtre, a peut-être de quoi étourdir le client mais c’est pour mieux le servir et le retenir. La mise en scène alerte et intelligente de Claude Poissant sert admirablement bien le texte, aucun geste inutile, tout étant calculé au quart de tour. Un enchantement perpétuel, bon jusqu'à la dernière goutte...de sang... suspect...




Abraham Lincoln est mort assassiné le lendemain du Vendredi Saint, il était allé voir la pièce OUR AMERICAN COUSIN avec sa femme Mary, lorsqu’un acteur dénommé John Wilkes Booth (faut l’entendre prononcé par la bouche de Benoît Gouin) fit irruption dans la loge et le tira avec un Derringer. Une balle de calibre 44 dans la nuque du 16ème président américain...


Le 10 avril 1865, Robert Lee capitule enfin au nom des États du Sud, après un bain de feu et de sang qui a fait des millions de morts. Tandis que Washington est en liesse et que les États du Nord célèbrent la fin de la guerre, un Lincoln épuisé, au bord de l'anéantissement physique, mais fier d'avoir fait de tous les Noirs des hommes libres, se couche, s'endort et fait ce rêve dont il se souviendra parfaitement à son réveil:

«Un silence de mort m'entourait; puis, j'ai entendu des sanglots étouffés, comme si un certain nombre de personnes pleuraient. Dans mon rêve, j'ai quitté mon lit pour aller me promener au rez-de-chaussée. Le silence était brisé par les mêmes sanglots déchirants, mais les affligés restaient invisibles. Je suis passé de pièce en pièce; personne, mais j'entendais toujours les mêmes lamentations sur mon passage. Toutes les pièces étaient éclairées, chaque objet m'était familier. Mais qui étaient toutes ces personnes qui gémissaient comme si leur coeur allait se briser ? Je me sentais inquiet et alarmé. Que pouvait bien signifier tout cela ? Résolu à découvrir la raison d'un état de chose aussi mystérieux et choquant, j'ai continué à avancer jusqu'à ce que j'arrive au Salon de l'Est. Je suis entré et me suis trouvé devant un catafalque sur lequel gisait un cadavre dans ses vêtements funéraires. Autour, des soldats montaient la garde et il y avait une foule de gens: certains regardaient tristement le corps, dont le visage était couvert, d'autres pleuraient pitoyablement. " Qui est mort à la Maison-Blanche ? " ai-je demandé à l'un des soldats. " Le Président; il a été assassiné." La foule sanglotait bruyamment. »

Victor-Lévy Beaulieu
LA GRANDE TRIBU
Septième partie, Les Libérateurs


La scène finale: Soufflant ! Pour la récursivité des " grandes pièces ": l'éternel recommencement...

Réalisant que la pièce était terminée, le public chaleureux et réceptif s’est levé d’un coup presque sec pour applaudir les trois comédiens qui venaient de nous offrir là toute une performance. C'était leur dernière prestation à Québec. On pouvait lire toute la beauté du spectacle, elle était là, plantée entre les deux yeux de l'Acteur, en plein coeur de sa tête et sur nos mains....chaudes. Merci au Théâtre Périscope, l'équipe peut être fière de cette captivante capture. Un conseil: la pièce est en tournée présentement à travers la province, alors, surveillez un théâtre près de chez vous, il se pourrait que vous rencontriez un président qui danse autrement...

***

Pour conjurer la pluie qui s'abattait sur la ville à la sortie du théâtre: un arc-en-ciel, plutôt rare cette année...Un retour en autobus articulé, un aurevoir de la main noire de M., un sourire à travers la fenêtre embuée...

Abraham Lincoln va au théâtre // 2010

Texte de Larry Tremblay
Mise en scène de Claude Poissant

DISTRIBUTION

Patrice Dubois (Hardy), Maxim Gaudette (Laurel), Benoît Gouin (Abraham), ainsi que Étienne Cousineau, Guillaume Cyr ou Frédéric-Antoine Guimond et Frédéric Gagnon ou Sasha Samar.

Assistance à la mise en scène et régie Stéphanie Capistran-Lalonde / Décor Jean Bard / Costumes Marc Senécal / Éclairages Martin Labrecque / Musique originale Nicolas Basque / Mouvement Caroline Laurin-Beaucage / Maquillages Florence Cornet / Perruques Rachel Tremblay, assistée de Chantal McClean / Direction technique Alexandre Brunet / Direction de production Catherine La Frenière / Stagiaire à la mise en scène Alexia Bürger



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