dimanche 27 septembre 2009

La daube

(photo Bertrand Carrière)
(montage: L.L.)



Daube: n.f. (ital. addobbo, assaisonnement). Manière de cuire à l'étouffée certaines viandes braisées (surtout le boeuf) avec un fond de vin rouge; viande ainsi accommodée.

***

Au creux de sa mémoire la mer, et au bout de ses reins, des pierres. Son regard embué, une vitre mal déglacée, son corps renversé dans la poudrerie blanche. Puis une éternelle envolée de paroles récusées. Jamais son cœur prisonnier ne fût plus étanche que celui qui s'était jadis du sien tant désaltéré. Une main blessée, toute tremblante. Quelques embryons aspirés au passage. Et des miroirs dépouillés de son dur visage. L'aura de son fantôme suspendue tout autour...

Une Voix, qui jamais dans ses souvenirs ne le hante, que lorsque dans sa course lente vers son univers rapiécé, il tripla d'un mystère charnel ce que contient l'Amour et ses dérivés. Et le sien, détenu dans l'engrenage de la noirceur des jours. Le tatouage d'une troupe de papillons évadés sur la couleur pourpre de sa peau indolore. Une berceuse imaginaire qui grince au fond d'une mésange vidée. Un étranglement à l'aveuglé, effet d'un geste secondaire. Jamais moins chaude qu'elle ne fût froide, jamais moins fade qu’une daube, emprisonnée entre la couleur fantôme de ses hivers et la lueur dorée de ses aubes, cette contrée nordique, à jamais étendue sur son corps entrouvert.

C'est la toute fin de la répétition générale. La Mort qui rôde dans ses yeux et le regarde. Un cimetière de pierres pour le bon larron. Et des centaines de noirs migrateurs ballons, envolés des murs de sa fédérale prison, là où y virevoltaient au-dessus d’un nid d’hirondelles, le ciel de ses bleus & le chant d'une demoiselle.

C'est une prothèse partielle, cogitée dans la hargne, qui tua notre père en solo, là-bas, dans le trou des salauds, dans le recoin de son bagne. De près ou de loin, nous l'avions tous vu: il était presque nu quand on le sortit frais sanglant de son irrévocable sursis. On le laissa macéré, à demi avoué, dans le supplice de son compromis. On ne déposa point sa tête sur un billot et encore moins sous leurs vénérables culs. On laissa plutôt pendre une corde sensible pour ses fidèles complices, pour qu'ils puissent s'évader eux aussi des corrompus et de leurs vices, ceux-là même qui firent mine un jour de l'avoir reconnu sur la rue.

Nous n'oublierons jamais qu’il avait un jour vécu par ICI, en même temps qu’eux et que nous.


Inspiré par LE PARTY, film réalisé par Pierre Falardeau et par LE COEUR EST UN OISEAU de Richard Desjardins


L. Langlois
1995 - 2009



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