mardi 22 septembre 2009

Sous le joug des mots

Michel Goulet
Rêver le Nouveau Monde, 2008


N’ayant jamais été illuminés que par la lumière intangible du Hasard, ils construisirent tout de même sans elle, mais avec la droite robustesse, un abri souterrain, cantonné dans l’une de ces îles vierges de négresse. En voyage tout autour des confluents de la mer, un radeau avance comme un grand train de nuit, il les vogue sur les ondes d’un paysage embrumé. Elle, le visage caché sous le regard fardé de blanc, lui, verrouillé dans les ombres du passé scabreux. Eux, ne péchant et ne s’aimant que dans le simple tourment, ne se couvrant que de la boue de ce providentiel printemps. Une grappe de froideur pour la chaude poignée de rigueur, phare initial que ce refus fustigé, quoiqu’il était bien temps.

Puis des drames écoulés dans les fonds fangeux des étangs noirs, pour ne pas oublier ni la forme ni l’odeur des blancs nénuphars. Libres mais obéissants, sur des airs de Brel ou de Ferré, leurs larmes refoulées dans le bruit syncopé des fanfares, leurs larmes écrouées sur le rubis enrobé d’un gyrophare. Envie de battre le cœur d’une métis, création d’une prodigalité, envie humide de rebelle actrice, inondation dans ce qui se sauve. Avec ses phrases trésors de pirates et ses mots repeints d’argent, la faune bienséante de l’auteur, pour la scène des fauves chauves, réconciliera avec quelques unes des siennes, intimes et scandaleuses, ces quelques autres, phrases qui deviendront plus tard secrets d’alcôve.

L’apparence de leur bonheur brutal, qui paraissait franchement mutuel, les fit se rejoindre sous une galerie actuelle, près d’une peinture gestuelle. Il n’oublia certes pas d’apporter avec lui cahiers usés, plumes et encres, et elle, angoisse renaissante de son rêve d’enfants, misère d’auparavant. Ils déformèrent ensemble la sorte d’urgence de Claude et Muriel, ces ex personnages d’un monde frais repeint d’abysses suburbains. Puis allèrent s’aimer ailleurs que dans l’antre pollué de l’univers des pavés, comme le feraient lézards et salamandres parmi les algues gluantes. Une sortie de secours, sans essayer le moindrement de s’en échapper. Sur l’eau, la forêt boréale flottait. Ils s’engloutirent, laissant ces traces…

Pour leurs mémoires toujours aussi actives qu'indispensables, toute la houle vagabonde de leur vague à l’âme contagieux. Pour la brève et géniale symphonie de l’Amour incontestable, le mythe de l’œuvre, pour que l’on puise un jour reconnaître le travail intégral et colossal de ces deux solitaires contremaîtres. Pour eux, comme le présent de ce temps passé, un poème douteux, que j’offre sans parti pris au poète maudit et à l'amie friable.

1994



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