jeudi 24 septembre 2009

Sagan est morte


Montage: L.L.



Aimer, ce n’est pas seulement " aimer bien ";
c’est surtout comprendre.


Françoise Sagan
(Qui je suis ?)


Les planches d'un lambris de bois possèdent un côté languette mâle, l'autre côté rainure femelle.


À Françoise Sagan, qui est décédée un 24 septembre.



L’Amour féal qui tourne autour de ton sang impur, qui meurt un peu plus à chaque jour, comme à la tombée d’un murmure sourd. Un jeune amant qui fit battre la chamade à tous mes dix-huit ans, quand saignant et gravement malade il m’accompagnait comme une amie incertaine, comme tu le fis toi, Sagan, dans les boues sales et souterraines de mes longues galeries lointaines.

Ces mots que tu métisses et nous unissent, qui jamais ne nous vieillissent, et que lui seul, vieil Adonis, plante en pleine terre au creux de mes supplices…Ces mots qui me manquent, ces mots d’ami mal épris. Ces feuilles que tu déplissent, flanquées au fond de ton sac à malices, ou dans le cul trop étroit d’un hiver étouffé par les fourrures de nos pelisses, comme celles de Lara et de Zhivago.

Malgré l’alcool et le froid, et le décroisement de nos doigts, malgré le son de nos corps en débat et de celui de nos petites bouches de verglas, nos yeux rougis qui se touchent et débouchent sur d'anciennes gueules de bois louches. Et tes doigts jaunis dans le lisse de ma bouche, qui m’entraînent en plein milieu d'un nouveau supplice. Tes mains d'artiste affûtant des flèches factices pour les jeunes novices, depuis le carquois usagé du plus salé de leurs vices. Depuis tes restes automnaux, tes mots bus à même le tonneau; tes mots tannés à même le cuir craquant de nos vieilles peaux…

Et l'Amour, vieille lame rouillée, flammèche pour Illusionnés, qui ampute les cœurs et rase les toits, qui fait couper des têtes et supputer l’Émoi. Bien après que tu ne meurs sur la rive gauche de ma mémoire, j’incendiais volontiers pour toi l’œil bionique d'un trépané. Son orbite noire dans la Rue des Évidés, vautour nu sur son écran à jamais tu.

Du feu sacré des âmes sœurs à l’éclatement de nos destinées, la greffe de tes mots sur ma cornée, rois et reines bien encrés dans ton cœur auto proclamé. Créer de cette histoire mémorable, au nom de nos amours bas de gamme, un réceptacle rempli de rêves lambrissés pour nos cauchemars devenus plus que déraisonnables. Rêves discrets enfermés sous clef dans le Tabernacle des mal consacrés; sanctuaires dégorgés de nouveaux oracles pour ancien printemps de dégel et de débâcles. T’avoir encore écrit ce soir une autre nouvelle, comme si la défunte envie de te revoir en Elle était devenue aussi efficace que rebelle. Comme une résurgence giclée de l'Intemporel, les vives eaux de son dernier souffle, et le sursaut de son ultime désespoir.

Pour que remouille ta pulpe, pour qu’éclate à nouveau ton pré-texte: Peggy, Sue, Barbara ou Juliette, qui s’inculpent de ton troisième sexe. Pour que jamais nous ne cessions d’être éprises l’une dans l’autre, pour être toujours aussi bien mal ici que mal ailleurs, entrouvir à nouveau les feuilles rougies et l’écorce blanchie de tes petits livres, grands lits doubles des jeunes mariés, premières nuits de secondes noces des divorcés.

Pour ne jamais être comme ceux qui ont enfanté dès leurs premiers malaises ces livres qui nous fatiguent, ces pages qui nous dénigrent, rejeter les faux rejetons de la mi-avril, les morts tués dans l'oeuf, ou au chant d’honneur, les morts nés des Fils Prodigues, ces cygnes noirs venus perturber notre Imprévisible. Depuis les congrès de nos déroutes, dans les mots cerclés de la Redoute, face à face, sur la plus meurtrière des routes, la démolition de tous nos sans aucun doute.

Avec nos angoisses qui la raboutent aux voraces vautours, l’encre rouge, celle qui s'avale d’une seule becquetée, celle que tous ceux-là avaient délibérément ensanglantée du dedans saccagé de leurs petits cahiers d’écoliers déboîtés. Tous ceux-là qui un jour avaient sarclé l'Amour de leurs beaux mots d'usagers, et qui formèrent à l'emporte-pièce leurs phrases-clés, pour plus tard aller les incendier dans les foires des affriolants jardins de papier …

Depuis le bon jack daniels de tes nuits blanches mal arrosées, le porto cheap, les traits poudrés, les saignements de nez et le scotch bien tapé pour les larmes sèches de tes frais rasés, et des becs sucrés pour ta petite bouche pincée, des bons baisers de la France de la part de tous ceux et celles qui auraient tant aimé y en avoir déposé. Pour seulement y avoir été l'invité(e) privilégié(e). Pour y être encore.

L’Amour n’est que le co auteur de notre désarroi.


Louise L.
Avril 2005
Mars 2006
Septembre 2009

2 commentaires:

  1. C'est ce qui s'appelle un texte! Un poème. Un manifeste. De l'élégance de bête. Drôle comme j'aime ce monstre sans connaître la cinquantaine de romans aux marches glissantes (peut-être). Elle ne s'est jamais relue. Trop de choses à lire, disait-elle. Sauf une fois en avion où elle n'avait rien à lire et trouva par hasard ce bouquin d'elle qui traînait. À la question de savoir si elle avait trouvé cela bon, la réponse est : oui! J'étais dans une chambre d'hôtel à Ottawa. Il est clair que c'était un 24 septembre. À la télé passait un documentaire sur Quoirez que j'ai regardé absolument fasciné. Le lendemain, j'apprenais sa mort. Hier soir, sur TV5, j'ai capté quelques extraits du film Sagan (Diane Kurys). Il m'est venu la même admiration pour cette femme, écrivaine. Et maintenant, votre beau texte.

    « Je ne sais pas vraiment pourquoi on écrit. Je crois qu'on écrit pour trois ou quatre personnes qu'on aime et qui vous croient forte, et qui ne savent pas que d'un mot elles peuvent vous mettre à terre. » Sagan, le film.

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  2. « Au milieu de ce tourbillon, c'est dans l'écriture que Francis reprendra pied, l'écriture qui érige autour de lui le rampart nécessaire à sa survie. »

    Caroline Montpetit, Le Devoir, 19 septembre 2009, à propos d’ IMPARDONNABLES, de Philippe Dijan.

    Francis: « perdre un lecteur est pire que recevoir cent coups de fouet. Perdre un lecteur est une terrible sanction. »

    Et ce matin, à la radio du Petit Canada, j’apprends subitement qu’un autre petit monstre, bien de chez nous celui-là, est morte. Putain, Folle, on ne saura jamais vraiment. Je n’ai lu d'elle qu'une nouvelle dans un Zinc consacrée à l’écriture « diÈte féminine «. Comme à peu près « tout le monde en parlera », Miss Arcan, (sans d svp), qui possédait une plume particulière, d’après les papiers et commentaires que j’ai pu en lire, possédait également des attributs on ne peut plus en chair, qui déplaçaient, avec son regard tout aussi fascinant, beaucoup d’air sur les différents plateaux où sa personne prenait place. Sa mort ne me surprend pas réellement, elle vivait « vite » je crois.

    Vous savez, on écrit toujours pour quelqu’un, et ce texte, que j’ai remanié à la suite du film que j’ai vu avant-hier, m’avait été inspiré par un personnage créé de toute pièce par quelqu’un qui connaissait Nelly, étant de sa génération.

    Oui, on écrit toujours pour trois ou quatre lecteurs, et parfois même pour un « jeunauteur ». Sagan est définitivement morte aujourd’hui. Et le hasard fera toujours bien les choses. ;-)

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